Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/177

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démériter : c’est pour lors qu’il renonce au droit qu’il a d’agir sur elle, et de la déterminer. Mais, quand il veut savoir quelque chose, il le sait toujours, parce qu’il n’a qu’à vouloir qu’elle arrive comme il la voit, et déterminer les créatures conformément à sa volonté. C’est ainsi qu’il tire ce qui doit arriver du nombre des choses purement possibles, en fixant par ses décrets les déterminations futures des esprits, et les privant de la puissance qu’il leur a donnée d’agir ou de ne pas agir.

Si l’on peut se servir d’une comparaison dans une chose qui est au-dessus des comparaisons ; un monarque ignore ce que son ambassadeur fera dans une affaire importante : s’il le veut savoir, il n’a qu’à lui ordonner de se comporter d’une telle manière, et il pourra assurer que la chose arrivera comme il la projette.

L’Alcoran et les livres des Juifs s’élèvent sans cesse contre le dogme de la prescience absolue : Dieu y paroît partout ignorer la détermination future des esprits ; et il semble que ce soit la première vérité que Moïse ait enseignée aux hommes.

Dieu met Adam dans le Paradis terrestre, à condition qu’il ne mangera point d’un certain fruit : précepte absurde dans un être qui connoîtroit les déterminations futures des âmes ; car enfin un tel être peut-il mettre des conditions à ses grâces sans les rendre dérisoires ? C’est comme si un homme qui auroit su la prise de Bagdad disoit à un autre : Je vous donne mille écus si Bagdad n’est pas pris. Ne feroit-il pas là une bien mauvaise plaisanterie ?

Mon cher Rhédi, pourquoi tant de philosophie ? Dieu est si haut que nous n’apercevons pas même