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fille dans le lit avec assez de violence ; mais, une heure après, cet étourdi se leva furieux, lui coupa le visage en plusieurs endroits, soutenant qu’elle n’étoit pas vierge, et la renvoya à son père. On ne peut pas être plus frappé qu’il l’est de cette injure. Il y a des personnes qui soutiennent que cette fille est innocente. Les pères sont bien malheureux d’être exposés à de tels affronts : si pareil traitement arrivoit à ma fille, je crois que j’en mourrois de douleur. Adieu.

Du sérail de Fatmé, le 9 de la lune de Gemmadi 1, 1714.

LETTRE lxxi.

Usbek à Zélis.


Je plains Soliman, d’autant plus que le mal est sans remède, et que son gendre n’a fait que se servir de la liberté de la loi. Je trouve cette loi bien dure d’exposer ainsi l’honneur d’une famille aux caprices d’un fou. On a beau dire que l’on a des indices certains pour connoître la vérité, c’est une vieille erreur dont on est aujourd’hui revenu parmi nous ; et nos médecins donnent des raisons invincibles de l’incertitude de ces preuves. Il n’y a pas jusqu’aux chrétiens qui ne les regardent comme chimériques, quoiqu’elles soient clairement établies par leurs livres sacrés, et que leur ancien législateur en ait fait dépendre l’innocence ou la condamnation de toutes les filles.