Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
lettres persanes.

Si mes eunuques me croyoient en danger, s’ils pouvoient espérer l’impunité d’une lâche complaisance, ils cesseroient bientôt d’être sourds à la voix flatteuse de ce sexe qui se fait entendre aux rochers et remue les choses inanimées.

Adieu, Nessir ; j’ai du plaisir à te donner des marques de ma confiance.

De Paris, le 5 de la lune de Chahban 1712.




LETTRE XXVIII.

rica à ***.



Je vis hier une chose assez singulière, quoiqu’elle se passe tous les jours à Paris.

Tout le peuple s’assemble sur la fin de l’après-dînée, et va jouer une espèce de scène que j’ai entendu appeler comédie. Le grand mouvement est sur une estrade, qu’on nomme le théâtre. Aux deux côtés, on voit, dans de petits réduits qu’on nomme loges, des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse.

Tantôt c’est une amante affligée qui exprime sa langueur ; tantôt une autre, avec des yeux vifs et un air passionné, dévore des yeux son amant, qui la regarde de même : toutes les passions sont peintes sur les visages, et exprimées avec une éloquence qui n’en est que plus vive pour être muette. Là, les actrices ne paroissent qu’à demi-corps, et ont ordinairement un manchon, par