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plus précieux qui soit au monde, c’est-à-dire d’eau vive ; il est impossible d’y accomplir une seule ablution légale. Elle est en abomination à notre saint Prophète ; il ne la regarde jamais, du haut du ciel, qu’avec colère.

Sans cela, mon cher Usbek, je serais charmé de vivre dans une ville où mon esprit se forme tous les jours. Je m’instruis des secrets du commerce, des intérêts des princes, de la forme de leur gouvernement ; je ne néglige pas même les superstitions européennes ; je m’applique à la médecine, à la physique, à l’astronomie ; j’étudie les arts ; enfin je sors des nuages qui couvraient mes yeux dans le pays de ma naissance.

À Venise, le 16 de la lune de Chalval, 1712.

LETTRE xxxii.

Rica à ***.


J’allai l’autre jour voir une maison où l’on entretient environ trois cents personnes assez pauvrement. J’eus bientôt fait : car l’église et les bâtiments ne méritent pas d’être regardés. Ceux qui sont dans cette maison étoient assez gais ; plusieurs d’entre eux jouoient aux cartes ou à d’autres jeux que je ne connois point. Comme je sortois, un de ces hommes sortoit aussi, et, m’ayant entendu demander le chemin du Marais, qui est le quartier le plus éloigné de Paris : J’y vais, me dit-il, et je vous y conduirai ; suivez-moi. Il me mena à merveille, me tira de tous les