Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/89

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embarras et me sauva adroitement des carrosses et des voitures. Nous étions prêts d’arriver, quand la curiosité me prit. "Mon bon ami, lui dis-je, ne pourrois-je point savoir qui vous êtes ? Je suis aveugle, Monsieur, me répondit-il. Comment ! lui dis-je, vous êtes aveugle ! Et que ne priiez-vous cet honnête homme qui jouoit aux cartes avec vous de nous conduire ? — Il est aveugle aussi, me répondit-il. Il y a quatre cents ans que nous sommes trois cents aveugles dans cette maison où vous m’avez trouvé. Mais il faut que je vous quitte : Voilà la rue que vous demandiez ; je vais me mettre dans la foule ; j’entre dans cette église, où, je vous jure, j’embarrasserai plus les gens qu’ils ne m’embarrasseront.

À Paris, le 17 de la lune de Chalval, 1712.

LETTRE xxxiii.

Usbek à Rhédi.
À Venise.


Le vin est si cher à Paris, par les impôts que l’on y met, qu’il semble qu’on ait entrepris d’y faire exécuter les préceptes du divin Alcoran qui défend d’en boire.

Lorsque je pense aux funestes effets de cette liqueur, je ne puis m’empêcher de la regarder comme le présent le plus redoutable que la nature ait fait aux hommes. Si quelque chose a flétri la vie et la réputation de nos monarques, ç’a été leur