Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/287

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commencèrent à sentir les desseins de la Nature. L’île fut bientôt repeuplée ; de façon qu’en quatrevingts ans de temps, dans l’espace de sept générations, il s’étoit fait une nation qui n’avoit point d’idée qu’il y eût sur la Terre d’autres hommes, ni 5 un autre peuple. Ils se firent une langue.

Un vaisseau 1 ayant fait naufrage auprès de l’île, deux hommes, qui se sauvèrent à la nage, y abordèrent. Les habitants les reçurent avec humanité et leur donnèrent du lait, qui étoit le seul mets qu’ils 10 eussent encore imaginé.

Lorsqu’ils eurent appris la langue du pays, ils virent un peuple tout neuf...

Un des insulaires demanda au vieux (sic) étranger quel âge il avoit : «J’ai, répondit-il, quatre-vingt-dix ô ans. — Qu’entendez-vous par une année ? répliqua l’insulaire.—J’appelle année, dit l’étranger, douze révolutions de lune. — Et, à ce compte, combien auriez-vous de révolutions de lune ?—Laissez-moi un peu songer. J’en aurois mille quatre-vingts. — 20 Peut-on mentir comme cela ? dit l’insulaire. Et vous seriez plus vieux que nos premiers pères ! — Si vous ne me croyez pas, dit l’étranger, vous croirez peutêtre ce jeune homme, qui est venu avec moi, et qui est de la même ville où j’ai pris naissance. — Quoi ? 25 dit l’insulaire, y a-t-il donc d’autres villes que les

1. C’est ce que j’ai reconnu par ce que j’ai pu apprendre du pays, et par l’histoire d’un navire perdu, dans ce temps-là, contre une île du Mexique dont on garde la mémoire au Mexique, où quelques-uns des gens du vaisseau se réfugièrent dans une chaloupe ; et on ne put, depuis, découvrir cetto ile.