Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/315

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

là, cette fureur de juger, cette honte de ne pas décider, cet air de mépris sur tout ce qu’on ne connoît pas, cette envie de ravaler tout ce qui se trouve trop haut, dans un siècle où chacun se croit ou se voit un personnage. De là, dans ceux qui se 5 croyent être obligés d’être de beaux-esprits, et qui ne peuvent s’empêcher de sentir leur mérite inférieur, cette fureur pour la satire qui a fait multiplier parmi nous les écrits de cette espèce, qui produisent deux sortes de mauvais effets, en décourageant les 10 talents de ceux qui en ont, et en produisant la malice stupide de ceux qui n’en ont pas1. De là, ce ton continuel qui consiste à tourner en ridicule les choses bonnes et même les vertueuses. Tout le monde s’en est mêlé, et on a confondu le goût. A i5 force de dire qu’on le cherchoit, on l’a fait disparoître.

Si nous n’avons plus de Socrate, nous avons encore moins des Aristophanes.

Virgile et Horace sentirent, dans leur temps, le 20 poids de l’envie. Nous le savons, et nous ne le savons que par les ouvrages de ces grands hommes. Les écrits satiriques faits contre eux ont péri, et les ouvrages qu’ils ont attaqués sont éternels. Ainsi meurent les insectes qui ont fait sécher les feuilles a5 des arbres, qui, au retour du printemps, reparoissent toujours verts.

Une certaine délicatesse a fait que l’on s’est rendu extrêmement difficile sur tout ce qui n’a pas cette

1 Voyez la page 64. — Voyez aussi la page 243 v°, et r° page 136.