Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/437

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  • La loi naturelle1 qui soumet cet âge à tous les besoins imaginables ayant établi cette dépendance, les enfants n’en pouvoient jamais sortir : car une telle autorité ayant précédé toutes les conventions n’avoit point de bornes dans son origine, et, si l’âge 5 avoit insensiblement diminué le pouvoir des pères, cela n’auroit pu se faire que par une progression de désobéissance. Or le père qui commandoit et le fils qui obéissoit ne pouvoient jamais convenir du temps où l’obéissance aveugle devoit cesser, ni de la façon 10 dont elle devoit diminuer*.
  • Les enfants n’ont donc jamais pu borner cette puissance2. Ce n’est que la raison des pères qui l’a fait, lorsque, dans l’établissement des sociétés, ils l’ont modifiée par les loix civiles, et les modifica- iS tions ont été quelquefois si loin qu’elles sont presque entièrement abolies : comme si on avoit voulu encourager l’ingratitude des enfants3*.

Les familles se sont divisées ; les pères étant morts ont laissé les collatéraux indépendants. Il a fallu 20 s’unir par des conventions et faire, par le moyen

1. Ce que l’on dit n’est pas juste, sur le pouvoir sans bornes des pères : il ne l’est pas, et il n’y en a pas de tel. Les pères ont la conservation pour objet, comme les autres puissances, et encore plus que les autres puissances.

2. L’autorité paternelle se borne toute seule, parce qu’à mesure que les enfants sortent de la jeunesse, les pères entrent dans la vieillesse, et que la force des enfants augmente à mesure que le père s’affoiblit.

3. La Nature elle-même a borné la puissance paternelle en augmentant, d’un côté, la raison des enfants et, de l’autre, la foiblesse des pères ; en diminuant, d’un côté, les besoins des enfants, et augmentant, de l’autre, les besoins des pères.