Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t2, 1901.djvu/219

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1465(87.I, p. 80).— Quand on voit des statues antiques, on trouve une très notable différence des visages des Anciens aux nôtres, et il est impossible que cela ne soit ainsi, chaque nation ayant, pour ainsi dire, sa couleur, sa taille et sa physionomie. S Mais, depuis les Grecs et les Romains, les nations ont tellement changé de place, tout a été si dérangé que toutes les anciennes physionomies des peuples se sont perdues, et qu’il s’en est formé de nouvelles, et il n’y a plus dans le Monde de visage grec ni 1o romain.

Notre imagination nous trompe extraordinairement. Comme nous savons que les Romains étoient un peuple victorieux et maître des autres, nous nous imaginons que c’étoit un peuple d’une grande sta- 15 ture, et une petite femme ne nous réveillera jamais l’idée d’une dame romaine. Cependant, dans les statues antiques qui ne sont pas flattées, les yeux trouvent toujours quelque chose de raccourci, et effectivement nous devons être plus grands qu’eux, 2o parce que, depuis eux, les peuples du Nord ont inondé l’Europe.

Végèce dit en termes exprès que les Romains ne sauroient disputer aux Gaulois de grandeur.

Pour peu que notre commerce avec les Indes Occi- 25 dentales devînt plus grand, c’est-à-dire si les Espagnols faisoient cesser la défense qu’ils ont faite, sous peine de la vie, à tous les Européens d’aborder aux Indes, la couleur blanche courroit risque de se perdre dans le Monde, et il ne resteroit plus seule- 3o ment l’idée de nos beautés d’aujourd’hui.