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De l’esprit des Lois,

libre & celle d’un esclave se touchent de fort près. Il est donc presqu’indifférent que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l’esclavage.

Mais dans les états modérés, il est très-important qu’il n’y ait point trop d’esclaves. La liberté politique y rend précieuse la liberté civile ; & celui qui est privé de cette derniere est encore privé de l’autre. Il voit une société heureuse, dont il n’est pas même partie ; il trouve la sureté établie pour les autres, & non pas pour lui ; il sent que son maître a une ame qui peut s’agrandir, & que la sienne est contrainte de s’abaisser sans cesse. Rien ne met plus près de la condition des bêtes, que de voir toujours des hommes libres & de ne l’être pas. De telles gens sont des ennemis naturels de la société ; & leur nombre seroit dangereux.

Il ne faut donc pas être étonné que dans les gouvernemens modérés l’état ait été si troublé par la révolte des esclaves, & que cela soit arrivé si rarement[1] dans les états despotiques.

  1. La révolte des Mammelus étoit un cas particulier ; c’étoit un corps de milice qui usurpa l’empire.