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Liv. XXXI. Chap. II.

sente. Les Francs, comme j’ai dit, souffroient des rois meurtriers, parce qu’ils étoient meurtriers eux-mêmes ; ils n’étoient point frappés des injustices & des rapines de leurs rois, parce qu’ils étoient ravisseurs & injustes comme eux. Il y avoit bien des lois établies ; mais les rois les rendoient inutiles par de certaines lettres, appellées préceptions[1], qui renversoient ces mêmes lois : c’étoient à peu près comme les rescrits des empereurs Romains, soit que les rois eussent pris d’eux cet usage, soit qu’ils l’eussent tiré du fond même de leur naturel. On voit, dans Grégoire de Tours, qu’il faisoient des meurtres de sang-froid, & faisoient mourir des accusés qui n’avoient pas seulement été entendus ; ils donnoient des préceptions[2] pour faire des mariages illicites ; ils en donnoient pour transporter les successions ; ils en donnoient pour ôter le droit des parens ; ils en

  1. C’étoient des ordres que le roi envoyoit aux juges, pour faire ou souffrir de certaines choses contre la loi.
  2. Voyez Grégoire de Tours, liv. IV, page 227. L’histoire & les chartres sont pleines de ceci : & l’étendue de ces abus paroît sur-tout dans l’édit de Clotaire II, de l’an 615, donné pour les réformer. Voyez les capitulaires, édition de Baluze, tome I, page 22.