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LUMIÈRE DU NORD

Quoi qu’il en soit de l’effort scolaire, la masse reste étrangère à l’art ; elle n’y reconnaît pas une expression, pas même une survivance ; elle ne s’en fait ni un confident, ni un allié. L’école, si indispensable qu’elle soit, ne suffit donc pas, si la nation ne s’en détache comme un fruit mûr ou un organisme vivant. Le peuple a plus vite dit qu’on « n’applique pas un emplâtre sur une jambe de bois. » Il faut une pensée qui se prolonge dans la volonté, en art comme en autre chose, et pour qu’elle se prolonge ainsi, pour qu’elle ne s’arrête pas en route, il faut qu’elle porte en elle-même une sève qui la réchauffe et l’enrichisse de toutes les valeurs du terreau français. La foi, pour agir, doit s’imprégner de son principe, sentir la raison profonde de sa détermination, obéir à un commandement dont elle accepte les exigences. Autrement, elle ne s’alimente pas, elle se borne à elle-même, satisfaite d’à peu près, bientôt relâchée ou vaincue.

Victor Barbeau a fort bien montré qu’il est vain d’absorber du vocabulaire sans le rattacher à la vie, à cette « vie de l’esprit » que réclame, avec tant d’énergique conviction M. Albert Pelletier. Le vocabulaire appris ne forme pas plus une langue que les noms des gouverneurs, l’histoire du Canada. Parler une langue, c’est penser et vivre les mots, les convertir « en sang et en nourriture ». « Dans l’état de décrépitude où est tombé chez nous le français, écrit Victor Barbeau, s’en prendre au lexique est semblable aux replâtrages qu’obtiennent, pour un soir, les salons de beauté, c’est-à-dire, ne peut être qu’un artifice, un trompe l’œil. Les mots ne sont