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ACADÉMICIEN

demander une question dans Madame de Sévigné, arriver en temps dans Guy de Maupassant et lire sur le journal dans la Pensée et la Langue de notre éminent collègue Ferdinand Brunot : autant d’expressions que nous repoussions parce qu’elles nous paraissaient de simples transpositions de l’anglais au français.

Vous comprendrez toutefois notre réserve et nos inquiétudes lorsque vous aurez médité l’anathème de ceux qui vouent les peuples bilingues à l’infériorité, sinon à la mort. Nous n’y croyons pas, nous mettrons toute notre vie à ne pas y croire. Il peut y avoir des lézardes sur la maison historique sans que cela l’empêche de témoigner du passé. Je me rappelle avoir entendu, à Gênes, Lloyd George parler aux journalistes italiens : le grand acteur gallois évoquait les murs normands qui s’élèvent dans son pays natal et dont les ruines laissent voir des fondations romaines encore intactes.

Nous adoptons cet apologue, image dans la bouche de l’homme politique, vérité tenace chez nous. Nous avons résolu de survivre : nos pères nous l’ont ordonné et ce serait déchoir que de ne pas leur obéir, malgré les facilités qu’une surveillance moins rigide nous apporterait. Il nous reste l’école et ses enseignements, l’exemple et ses contagions, la science et ses persuasions, l’amour et ses convictions, tout ce qui se dresse contre l’usage et que l’on est convenu d’appeler « l’artificiel » et qui, à tout prendre, n’est que la civilisation à laquelle nous avons donné une base latine.

Forme de résistance à l’anglicisme, notre francisation manifeste la vitalité d’un organisme qui reforme ses chairs sur le trait qui l’a blessé ; mais notre langue a fait mieux si, menacée de toute part,