Page:Moréri - Grand dictionnaire historique, 1716 - vol. 1.djvu/18

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compareront l’une avec l’autre trouveront la dernière beaucoup plus ample & plus correcte, en bien des endroits. Ainsi l’on n’a point pris de droit ſur cet Ouvrage, que d’autres n’euſſent déjà pris avant nous, après la mort de l’Auteur.

Le volume du Supplément, qui eſt un peu plus exact & un peu moins ſautiſ, que les deux premiers, ayant paru en 1689. à part, & ayant traité de divers ſujets mieux & plus au long, que le Sr. Moreri n’avoit fait ; on n’a pas crû devoir laiſſer ce que ce dernier en avoit dit, lors que ce qu’il diſoit s’eſt trouvé tout entier, avec de nouvelles remarques, dans le Supplément. L’on n’a pas ſeulement inſéré les Articles du Supplément dans le Corps du Dictionaire, mais l’on a encore, au moins le plus ſouvent, retranché les répétitions inutiles, qui ſe ſeroient quelquefois rencontrées dans une même page, ſi l’on n’avoit fait que joindre ce Volume aux précedens. On a auſſi corrigé un nombre confiderable de fautes, dans le Supplément, ſur tout pour ce qui regarde l’Antiquité.

Ce qu’on vient de dire pourroit ſuffire, pour faire comprendre au Lecteur que cette Edition eſt préferable aux précedentes ; mais afin qu’on n’en puiſſe pas douter, on va rapporter un bon nombre d’exemples des changemens les plus conſiderables que l’on y a fait. On en ſera ſans doute ſurpris, mais ceux qui ſe donneroient la peine de comparer l’Edition de France & celle-ci, d’un bout à l’autre, verroient bien autre choſe. Outre un nombre infini de fautes groſſieres dans le ſtile comme d’improprietez, de barbariſmes, de ſoleciſmes &c. on trouveroit, dans les Editions précedentes, mille endroits ſi mal exprimez, qu’on n’en comprend pas le ſens, ou qu’ils donnent des idées peu juſtes de ce dont il s’agit ; & l’on verroit ces endroits corrigez dans celle-ci. On rencontreroit un nombre prodigieux de fautes d’Orthographe, non ſeulement dans les noms appellatifs, mais dans les noms propres, leſquelles les font méconnoitre. On y trouveroit des bévues conſiderables & des galimathias inutiles, & impertinens à tout bout de champ. On y remarquerait bien des choſes de conſequence, pour un Livre comme celui-ci, oubliées entièrement, ou dites à demi, qui demandoient néceſſairement quelques additions.

Si l’on avoir tout renfermé dans des Crochets, comme on ſe l’étoit propoſé d’abord, on reconnoîtroit par tout les corrections, en ouvrant le Livre ; mais comme il y en auroit eu une trop grande quantité, ainſi qu’on l’a déjà dit, on a été contraint de changer de deſſein. Après tout cela, on n’a garde néanmoins de ſe flater d’avoir corrigé tout ce qui l’auroit merité, ou fait tous les Supplemens néceſſaires. Pour ne point parler du paſſé, il arrive tous les jours tant de choſes remarquables, & il s’eleve tant de perſonnes illuſtres, que ſi l’on groſſit ce Dictionaire à meſure que la matiére s’augmente, il ne ſera jamais fini. Pour les fautes du ſtile, ou même des choſes qui peuvent être demeurées, outre qu’une ſeule perſonne ne ſauroit faire attention à tout, ni redreſſer tout ce qu’il reconnoît être fautif, ou défectueux ; le Lecteur les regardera, comme on regarde ceux qui échappent à un vainqueur, quelque impitoyable qu’il ſoit, & quelque reſolution qu’il ait faite de ne pardonner à perſonne. Comme on ſe laſſe de faire main-baſſe ſur les ennemis : on ſe laſſe de corriger, quand on rencontre trop de fautes.

I. Mais pour venir à quelque détail, de peur qu’on ne prenne ce que l’on vient de dire pour des exaggerations, dont on ſe ſert quelquefois, pour rendre le debit des Livres meilleur, on rapportera premièrement quelques exemples des fautes de ſtile que l’on a corrigées. L’Auteur avoir employé par tout s’inſcrire en faux, pour contredire ou s’oppoſer ; eluder, pour refuter même ſolidement ; mériter, pour avoir, obtenir, parvenir à quelque choſe ; Catholique, pour Chrétien, ſans faire aucune alluſion aux hérétiques ; avouer, pour dire, rapporter remarquer ; invaſeur, pour uſurpareur ; diſſertation, pour recherche ; particulier & particulierement, pour dire en général remarquable, & d’une maniere remarquable ; génereux & géneroſité, pour courageux & courage ; raiſonnable, pour bon en général, comme lors qu’il dit que quelques éditions d’Ammien Marcellin étoient très-raiſonnables, pour dire fort bonnes ; les Auteurs Latins, en parlant de quelques Ecrivains des derniers ſiécles, qui ont écrit en Latin, comme lors qu’en rapportant les noms des villes de l’Amérique, il dit que les Auteurs Latins les nomment d’une certaine maniere. Quelquefois ces expreſſions ne font pas d’équivoque, mais ſouvent elles peuvent tromper les Lecteurs, à moins qu’ils n’entendent les choſes. On peut dire, que l’on a corrigé des milliers de ſemblables fautes.

On peut mettre, parmi les fautes de ftile, certaines manieres équivoques de marquer les tems, ou de déſigner les perſonnes. L’Auteur s’etoit ſervi, une infinité de fois, des mots de nôtre Siécle, & de Siécle paſſé, qui ſeront inintelligibles, dans quelques années, lors que nous ſerons dans un nouveau Siécle. Ce Livre n’étant pas comme un Almanach, qui ne ſert que pour un an, il faut que le tems y ſoit marqué ſi diſtinctement, que dans trente ans d’ici, on ne puiſſe pas s’y tromper. C’eſt ce que l’on a tâche de faire, en mettant le XVI. & le XVII. Siécle ; & ſi l’on ne l’a pas fait par tout, c’eſt par pure mégarde. L’Auteur en parlant de Louis XIII. Roi de France, dit le feu Roi, & en parlant de Louis XIV nôtre invincible Monarque ; ſans penſer que dans peu d’années Louis XIV, ſera le feu Roi, & que tous les Rois de France ſeront, pendant leur vie, les invincibles Monarques de leurs Sujets.

On a auſſi corrigé à tous momens des louanges exceſſives, & des invectives trop violentes du Sr. Moreri. Selon qu’il rencontroit des Auteurs, qui louoient ou blâmoient, il faiſoit l’un & l’autre exceſſivement. Pitſeus a fait un recueuil des Ecrivains Anglois, avant la Réformation, qu’il loue preſque tous comme des gens extraordinaires. Lorenzo Craſſo en a uſé de même, dans ſon Theatre Italien des Hommes de Lettres. Le Sr. Moreri avoit encheri ſi exceſſivement, ſur l’un & ſur l’autre, & ſur quelques Auteurs, qui ont ſuivi la même méthode, que des Moines & des Eccleſiaſtiques, inconnus des ſiécles paſſez, ſavoient parfaitement, ſelon lui, toutes les Langues ſavantes (c’eſt comme il parle) qu’ils les parloient & écrivoient avec facilité, & avoient pénetré les ſecrets de toutes les Sciences. D’autres, comme un certain Achillini, triomphent dans les Univerſitez & attirent des écoliers de toutes les parties du Monde ; tous les Princes ſe faiſoient honneur de combler de biens quelques autres, & tous les ſavans étoient ou leurs amis, ou leurs admirateurs. Cependant les Livres de pluſieurs de ces gens qui ſavoient tout, marquent un génie & un ſavoir ſi médiocre, qu’on auroit honte de les citer avec éloge. Selon toutes les apparences, nôtre Auteur regardoit ſon ſujet comme une matiére de Rhétorique, qu’on lui auroit donné à amplifier, pour exercer ſon éloquence Gaſconne : & peut-être qu’en multipliant de la ſorte les grands hommes, titre dont il n’eſt point chiche, il s’imaginoit qu’on le mettroit un jour dans le nombre de ceux à qui on le donne. Outre cela le Sr. Moreri a de certains lieux communs de louanges, qui reviennent à toute occaſion, comme lors qu’il dit des Prédicateurs ; que l’Héreſie & le Vice ne leur réſiſtoient que par leur opiniâtreté naturelle, qu’un ſavant homme trouva de juſtes eſtimateurs de ſon mérite, ou ſe fit d’illuſtres amis, ou charma’ les Papes & les Princes ; qu’un Miniſtre d’Etat vint à bout par ſon éloquence des négotiations les plus difficiles. De même quand il ſe jette ſur les Hérétiques, anciens & moderne il n’y a injures qu’il ne leur diſe & le tout ſans paſſion