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S. Bernard, & qui sont détaillées dans la 326e lettre de ce saint, n. 3, Abailard, sans vouloir répondre sur aucun chef, interjetta appel à Rome. Le concile ne laissa pas de le condamner ; mais cependant sans rien décerner contre sa personne. Les peres rendirent au pape Innocent II un compte exact des motifs qui les avoient fait agir. Le pape confirma le jugement du concile, par un rescrit rapporté dans la 197e épître de S. Bernard. Il ordonna de plus que les livres d’Abailard fussent brulés, & qu’on l’enfermât dans un monastere, avec défense d’enseigner, comme on le voit par un autre rescrit du même pape, qui se trouve dans les œuvres d’Abailard, p. 301, & au 27e tome des conciles du Louvre, p. 133. Innocent s’appaisa quelque temps après, à la sollicitation de Pierre le vénérable, qui avoit reçu fort humainement Abailard dans son abbaye de Cluni, & qui l’ayant trouvé très-soumis à la doctrine de l’Eglise, l’avoit réconcilié avec S. Bernard. (Ep. Pet. Cluniac. ad Innoc.) Abailard y donna jusqu’à sa mort de grands exemples de vertu, se montrant toujours fort laborieux, & parfaitement humble. Enfin ses grandes austérités l’ayant extrêmement affoibli, l’abbé l’envoya au prieuré de S. Marcel, lieu agréable sur la Saone, près de Châlons, où il mourut le 21 avril 1142, âgé de 63 ans. (Ep. Pet. Cluniac. ad Heloiss.) On accorda à Héloïse la demande qu’elle fit de lui donner la sépulture au Paraclet ; ce que lui-même avoit aussi souhaité. Pierre le vénérable lui fit, dit-on, deux épitaphes en vers latins, que l’on trouvera dans la collection des œuvres d’Abailard, par François d’Amboise, après la préface.

Quoiqu’Abailard se fût fait moine, comme il l’avoue, plutôt par honte que par piété, ses lettres à Héloïse semblent attester qu’il ne tarda pas à prendre l’esprit de cet état ; car on n’y voit que des sentimens religieux, & dignes du caractere sacerdotal, dont il est certain qu’il fut honoré, quoiqu’on ne sache point le temps de son ordination. On trouve entre ses ouvrages deux professions de foi, la premiere, au commencement du recueil de ses œuvres, & adressée à Héloïse ; la seconde dans l’épitre 20 qu’il adresse à tous les fidéles. Ces deux professions de foi paroissent très-sinceres, & il semble qu’on pouroit en conclure qu’il n’avoit jamais pensé à la plupart des erreurs dont on l’a accusé. Mais comme il étoit extrémement présomptueux, ainsi qu’on le voit dans tout ce qui nous reste de ses écrits, il est très-possible que, sans s’en appercevoir, il se soit exposé à la censure, en avançant des propositions scandaleuses. D’ailleurs il subsiste dans ses écrits quelques endroits véritablement répréhensibles, selon la judicieuse censure qu’en ont fait les docteurs de Paris. Cette censure se trouve dans le recueil des ouvrages d’Abailard & d’Héloïse, qui a été imprimée à Paris en 1616, en un gros volume in-4º sur les manuscrits de François d’Amboise. La troisiéme, la cinquiéme, la septiéme, & la huitiéme des lettres contenues dans ce recueil sont adressées à Héloïse ; mais elles n’ont aucune affinité avec celles qu’on a données comme des traductions, & qui ont été faites dans le même esprit qui fait composer les romans. A la fin du recueil dont nous parlons sont des notes latines d’André Duchesne, sur la premiere lettre, dans laquelle Abailard fait une narration de ses malheurs, & de tout ce qui le regarde jusque vers le temps du concile de Sens. Le P. le Long, biblioth. sacra, t. 2, p. 591, fait mention de quelques ouvrages d’Abailard qui n’ont pas été publiés, savoir, une explication du pseautier, & des commentaires sur les épitres de S. Paul. D. Mattenne, thes. anecd, t. 5, p. 1361, a donné le traité d’Abailard sur les ouvrages de la création, hexameron in genesim, où cet auteur débite des idées singulieres sur l’ame du monde, sur celles des planetes & des autres astres. D. Gervaise, ancien abbé de la Trape, a donné dans la vie d’Abailard, une idée d’un autre livre du même, intitulé sic & non, le oui & le non, que Guillaume, abbé de S. Thierry, traite de monstrueux, dans une lettre à S. Bernard, qui est la 326e parmi celles du saint. Ce livre traite des contradictions apparentes de l’écriture sainte, & s’applique à les concilier. Le même Dom Gervaise fit imprimer à Paris en 1723, en deux volumes in-12, les véritables lettres d’Abailard & d’Héloïse, sur l’édition de 1616 avec des notes historiques & critiques. La vie d’Abailard a été écrite par divers auteurs. Bayle, à l’article d’Abelard, cite Jacques Thomasius, professeur à Leipsick, qui a composé une vie d’Abailard, insérée au premier tome du livre intitulé historia sapientiæ & stultitiæ, collecta a Christiano Thomasio, & imprimé à Hall, en 1693. Dom Gervaise a donné en 1710, en 2 volumes in-12, la vie d’Abailard & d’Héloïse, & on en a fait une nouvelle édition en 1728. M. de Beauchamps a mis en vers françois les trois lettres supposées d’Abailard & d’Héloïse. Il les publia la premiere fois en 1714, & pour la troisiéme fois en 1737. C’est aussi la premiere de ces mêmes lettres que l’on trouve en vers anglois, imprimée diverses fois sous le nom de Pope. Jean de Salisburi désigne Abailard par la qualification de péripatéticien Palatin, ce qui a trompé beaucoup de savans, qui en ont ignoré la véritable signification. Mais ceux qui sont au fait de la vie d’Abailard ne peuvent s’y méprendre. Il est qualifié péripatéticien à raison de la profession particuliere qu’il faisoit de la philosophie péripatéticienne ; & Palatin, parcequ’il étoit né à Palais ou Palet, dans le voisinage de Nantes. (Hist. littéraire de la France, tome IX, p. 66, 67.) * Lorsque je ne cite aucun auteur particulier dans tout cet article, c’est François d’Amboise que je copie, ou Duchesne, ou enfin je parle d’après Abailard lui-même dans sa premiere lettre.

ABAKA-KHAN, huitiéme empereur des Mogols de la race de Gengiz-khan, étoit fils d’Holagou, auquel il succeda l’an de l’hégire 663, & de J. C. 1264. Les Musulmans jouirent d’un grand repos sous le regne de ce prince : les ruines de Bagdad furent réparées ; les Mogols vécurent dans une exacte discipline ; on vit refleurir les sciences & les beaux arts, & tout l’empire gouta les fruits de la sagesse & de la clémence du prince qui les gouvernoit. Abaka-khan eut quelques guerres à soutenir : la premiere fut contre Barka-kan, l’un des descendans de Giagathai, qui voulut entrer en Perse par les détroits du mont Caucase ; mais il fut défait à Derbend par Schamar frere d’Abaka, l’an de l’hégire 664, & de J. C. 1265, ce qui ne l’empêcha pas de revenir peu après avec une armée de trois cens mille chevaux. Il avoit déja pénétré jusqu’à Teflis, & étoit sur le point de livrer bataille aux Mogols, lorsque sa mort, heureuse pour la Perse, l’enleva tout à coup de ce monde, & dissipa son armée. Quatre ans après Abaka remporta une grande victoire aux environs de la ville de Hérat sur Barack-Oglan, autre prince de la race de Giagathai, qui étoit entré dans la Perse dès l’année précédente & qui s’y étoit emparé du Khorasan. L’expédition qu’entreprit Abaka l’an de l’hégire 669, contre Seifedden sultan d’Egypte, ne fut pas si heureuse : l’armée des Mogols commandée par Mangou Timur, fut taillée en piéces, & son général y périt. Cette disgrace excita de grands troubles à la cour d’Abaka, qui fut empoisonné à ce qu’on croit, l’an de l’hégire 681, & de J. C. 1282, après un régne de dix-sept ans, par Schamseddin son premier mimitre. Abaka étoit chrétien selon quelques auteurs, au moins célébra-t-il la pâque avec les Chrétiens dans la ville de Hamadan, un peu avant sa mort ; & on lit dans l’histoire des Nestoriens, qu’il envoya Jahabalaha, depuis catholique, de Bagdad, pour visiter les lieux saints de Jérusalem, & mettre des robes précieuses sur le saint sépulcre. Les états de ce prince avoient une très-grande étendue : car ils comprenoient le khorasan, l’Irac persien-