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aucune expérience du gouvernement des hommes, un enfant du peuple, par nature plutôt excitable et quelque peu autoritaire, ait pu faire passer sans plus de fautes son pays par une pareille crise en face de l’acharnement et des intrigues incessantes d’une clique qui avait juré sa perte[1].

Certes, il ne fut pas sans défauts, et qui peut se vanter de l’être ? Même dans cette première partie de sa carrière publique il eut sa part des faiblesses qui sont inséparables de la nature humaine. Mais je répète que, étant donné les circonstances, il joua son rôle avec une habileté et une sûreté de jugement vraiment remarquables.

Du reste, même certains de ces contemporains de la race qui lui fut opposée ne se firent pas faute de le reconnaître. Dans une lettre qui a mérité d’être publiée au livre bleu de 1870, un correspondant du pays admet que « son gouvernement est généralement reconnu comme meilleur que celui de la Compagnie ». « Ses hommes », ajoute-t-il, « font serment de s’abstenir de toute liqueur enivrante jusqu’à ce que les affaires soient arrangées, et jusqu’à ce jour leur conduite est strictement conforme à ce serment. Ils ont laissé passer des quantités de boisson au travers de leur camp sans y toucher. Dans quelques cas, ils ont ouvert des caisses pour y découvrir des armes ; mais quand ils n’en ont point trouvé, ils ont laissé le contenu intact. » Et quatre jours plus tard la même personne ne peut s’empêcher d’observer que « jusqu’ici la discipline maintenue a été réellement remarquable »[2].

Peut-on s’étonner après cela si un des principaux Anglais de la colonie, M. A.-G.-B. Baunatyne, maître des postes de Winni-

  1. Encore une fois, le lecteur voudra bien remarquer que je ne fais pas ici l’histoire des troubles de la Rivière-Rouge, et que par conséquent il m’est loisible d’appuyer sur certaines circonstances plutôt que sur d’autres qui ne sont pas autant à la gloire du chef des métis. En outre, ce n’est que simple justice à la mémoire d’une certaine personnalité de Saint-Norbert de remarquer qu’elle fut pour beaucoup dans les succès du jeune tribun, dont les actes publics furent honorables en proportion de sa docilité à suivre les conseils de l’âge et de l’expérience. Enfin, il va sans dire que Riel n’était pas seul dans son œuvre d’organisation ; mais il me semble que, ayant subi devant l’histoire telle qu’interprétée par les auteurs anglais l’odieux de tout le mouvement de protestation par cela même qu’il en était le chef actif, on ne saurait, pour la même raison, refuser de mettre à son compte une bonne partie du bien que ce mouvement opéra. L’historien dira ses fautes ; l’auteur de simples croquis est libre de faire ressortir ce qui, dans le rôle qu’il joua, a été plus ou moins négligé jusqu’ici.
  2. Livre bleu de 1870, p. 27.