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très large part à la dissémination de l’influence française au Canada central. Fondée en 1783-84, elle échelonna bientôt ses postes de traite du lac Supérieur aux confins les plus reculés des steppes glacés du nord. À peu près tous ses serviteurs ou engagés et quelques-uns de ses officiers ou « bourgeois, » comme on disait alors, étaient canadiens, en sorte que la connaissance du français s’imposait à tous comme une nécessité première. De fait, tout le monde parlait français dans cette compagnie ; tous ses membres, quelle que fût d’ailleurs leur origine, étaient regardés comme canadiens-français, et alors même qu’ils écrivaient en anglais, une foule d’expressions (ou même des phrases entières) françaises se glissaient comme malgré eux sous leur plume.

À cette époque, et bien longtemps après, le terme « Canadien » s’appliquait exclusivement aux Canadiens-Français au lieu d’être accaparé, comme il est aujourd’hui, par les nouveaux venus de langue anglaise et leurs enfants, qui ne voudraient voir dans les descendants des pionniers de la Nouvelle-France que des étrangers, des Français, Frenchmen.

Une des conséquences inévitables de la présence de tant de célibataires au sein d’une société où toute contrainte morale était à peu près inconnue, fut une quantité d’unions avec les femmes du pays, d’où naquit ce qu’on appela dans la suite la nation métisse. Bien peu nombreux furent les Canadiens qui ne contractèrent point de semblables alliances dans les rangs des Indiens qui fréquentaient leurs forts respectifs. En cela, du reste, ils ne firent que suivre l’exemple de leurs maîtres, avec cette différence importante qu’ils s’attachèrent définitivement à leurs familles et ne renièrent point les mères de leurs enfants, tandis que les soi-disant bourgeois ou commis ne les abandonnèrent que trop souvent pour retourner à leur pays natal.

Privés de tout secours religieux, ils n’en conservaient pas moins les prières apprises sur les genoux de leurs mères et le souvenir des instructions entendues sur les bords du Saint-Laurent.

Au grand air des bois ou dans l’immensité des prairies, leurs manières s’émancipaient quelque peu et leurs propos n’étaient pas toujours des plus édifiants ; mais la foi restait vive, et leur sens religieux s’émoussait rarement. Ceux d’entre eux qui savaient lire enterraient les morts et baptisaient les enfants[1].

  1. Je trouve un excellent exemple de l’action civilisatrice des Canadiens du Nord-Ouest dans un détail du journal d’un bourgeois de la Compagnie qui, de prime abord, ne manquera pas de paraître insignifiant à quiconque