Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incomplètes, — les Poëtes (pour employer ce mot dans son sens le plus large) sont condamnés à la solitude. Comment donc pourraient-ils plaire, eux que la divine Intuition retient dans la nature, à des intelligences faussées qu’une demi-science jeta dans l’artifice ? — Le Public corrompt tout ce qu’il touche. Il déprave la Langue tellement qu’on peut défier un orateur de se faire entendre en France, aujourd’hui, s’il parle français, et la lecture[1] des journaux est instructive à ce point de vue. — Il a fait du théâtre, avec d’ailleurs la criminelle connivence des auteurs dramatiques, la turpitude qu’on sait. Aussi les dramaturges à succès n’ont guère de rivaux dans la honte de la popularité que les romanciers à la mode. — Mais le souffle même de ce Public, son attitude même créent une atmosphère irrespirable au Poëte. Les Gens sont bruyants, ricaneurs, raisonneurs, positifs, utilitaires, froids, irrespectueux. On ne leur en fait pas accroire avec de grands mots, — avec de grandes idées non plus. Ils ont de la Beauté, pour les mêmes causes, les mêmes défiances que de Dieu. L’état d’âme essentiel à la compréhension de toute œuvre d’art leur est devenu impossible :

il serait sot et vain d’essayer de leur faire enten-

  1. La lecture aussi des recueils de discours parlementaires. Berryer, Montalembert. gardent un intérêt, du moins une possibilité : Gambetta, le dernier en date des « grands orateurs » de ces temps, est tout à fait intolérable, à cause du charabia.