Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/345

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sément les réaliser. Avec une sorte de hautaine indifférence à tout ce qui n’est pas le Chant, sans avoir destiné de monument, il cueille comme d’harmonieuses fleurs ses pensées et ses sentiments les plus beaux, les plus dignes de la gloire des vers. Ses vers, très jeunes et très savants, ont, comme je le disais des vers de Laurent Tailhade, une continuité lyrique dangereuse pour la suite du livre et chacun d’eux plutôt existe en soi que dans la société des strophes et des odes. Mais le mysticisme de ce poëte a dépassé les évangiles et ne s’inspire qu’aux sources mêmes des passions et des rêves de l’âme humaine éparse, quand il lui plaît, à travers la nature. — Le vers, qui, celui-là encore ! reste le Vers, est pourtant un des plus personnels qu’on ait écrits. D’une souplesse noble, par sa propre mélodie évocateur de toutes choses lointaines et charmantes, avec de très obstinées préférences de mots — H. de Régnier ne saurait écrire trente vers sans employer une fois au moins ce mot, d’ailleurs éblouissant comme le métal lui-même : or —, avec des langueurs interrompues par des violences reposées par des fluidités, ce vers a la jeunesse et garde la tradition :


La Terre douloureuse a bu le sang des rêves !
Le vol évanoui des ailes a passé
Et le flux de la Mer a ce soir effacé
Le mystère des pas sur le sable des grèves ;


Au Delta débordant son onde de massacre