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Page:Morissette - Au coin du feu - Nouvelles, récits et légendes, 1883.djvu/12

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Le souper fut court.

Rendu au magasin, il faisait les choses tout de travers. On lui demandait du thé, il montrait de la flanelle ; voulait-on de la farine, il allait chercher du coton jaune.

Pierre Marcotte regardait et souriait sans rien dire, sans même paraître s’apercevoir de ce que son employé faisait.

Aussitôt le magasin fermé, Lucien courut s’enfermer dans sa chambre, et la figure dans ses deux mains, il éclata en sanglots.

Ce qu’il redoutait allait arriver. La jeune fille qu’il aimait plus que sa vie, allait bientôt quitter la maison paternelle pour aller vivre avec un autre.

— Mais je me suis donc trompé, pensait-il en lui-même. À la voir empressée autour de moi, me sourire lorsque je la rencontrais, et à mille autres petits détails, j’avais cru qu’elle m’aimait.

Mais, non, je ne suis toujours que le valet de son père. Un pauvre gueux destiné à être malheureux toute sa vie.

Dans un mois, le mariage. Ce que je vais souffrir pendant ce mois, Dieu seul peut le dire. Si je partais ? Partir ! mais quel prétexte donnerai-je à mon départ ? Ne suis-je pas bien ici, et d’ailleurs j’aurai au moins ce mois pour la voir, la contempler…