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LE VAMPIRE

La chambre où il se trouvait en ce moment avait pris un air de fête pour la circonstance. Un petit souper délicat, préparé par lui, prêtre galant et fin gastronome, fumait sur la table.

La pièce, sans être meublée luxueusement, dénotait le goût recherché de celui qui l’habitait. Çà et là, quelques objets de piété étaient placés en évidence, comme pour faire pardonner le côté mondain de cette demeure.

Au-dessus d’un lit moelleux, dans l’écartement des rideaux, on voyait appendu un crucifix. À côté du canapé, garni de coussins, était disposé un prie-Dieu…

De cette chambre de prêtre, il montait un parfum troublant d’église et de boudoir, mélange de fleurs et d’encens.

Un beau feu de bois flambait dans la cheminée.

— Ma foi ! fit l’abbé Caudirol en se levant de son fauteuil, c’est la première fois qu’une femme se donne le genre de me faire attendre. M’est avis, pourtant, qu’elles ne sont pas autrement ici qu’ailleurs, ces poulettes !

Puis, après une pause, il ajouta, toujours se parlant à lui-même :

— Parbleu ! c’est assommant, ma parole ! Je vais descendre. Peut-être qu’elle ne trouve pas la maison.

Il sortit. L’escalier droit, à rampe massive, était alors plongé dans l’obscurité la plus complète. En bas, le couloir très étroit, à peine éclairé par une lampe fumeuse, le dissimulait entièrement. Il gagna la porte cochère de la rue et, l’ayant entre-baillée, il regarda sans être vu.

Les passants étaient rares. Personne ne se dirigeait vers la maison de l’abbé Caudirol. Seule, une jeune femme, presque une fillette, arpentait la chaussée, à proximité, accostant timidement les hommes.

Les uns passaient sans rien dire ; d’autres s’éloignaient en lui jetant quelques paroles.

— À ton âge ! Une gamine !… Tu n’es pas honteuse ?

Caudirol regardait toujours. Dans l’ombre, il dévisageait la malheureuse qui restait debout sur le trottoir, immobile, à un pas de lui. Elle était petite, flexible, la peau brune, jolie. Elle paraissait formée, quoique sa figure n’indiquât pas plus de quinze ans…

À cette vue, secoué par un désir irrésistible, voulant à tout prix cette belle créature, perdant toute prudence, le prêtre ouvrît la porte et appela :

— Pst, pst… Dis donc, mignonne !

Elle se retourna, surprise, ne sachant d’où venait la voix.

— Eh ! petite, comment t’appelles-tu ?

La porte était grande ouverte ; elle pénétra dans le boyau conduisant à l’escalier.

L’abbé Caudirol la prit par la taille et, brûlant, haletant, avec des caresses brutales, il la fit gravir les marches.

— Dis-moi ton nom, répétait-il tout essoufflé.

— La Pitchounette, dit la jeune fille timidement.

— Mais, c’est gentil cela. Laisse-moi t’embrasser, ma Pitchounette.

— Ah ! mon Dieu ! ayez pitié de moi…

L’abbé Caudirol venait de poser ses lèvres sur les siennes. Elle se débattit.

— Eh bien ! quoi ? fit celui-ci en l’entraînant chez lui.

La lumière vint les éclairer à l’angle d’une portière qui masquait la chambre à coucher. La femme éperdue essaya de s’enfuir ; l’homme, emporté par le vent de la passion, ne se connaissant plus, l’étreignit désespérément.

— Oh ! ne t’en vas pas ! articula-t-il péniblement, ne t’en vas pas !

— Un prêtre ! un prêtre !…

— Qu’importe ? Je t’aime, méchante… Viens, viens !

Brusquement, elle se dégagea et courut se réfugier à l’autre bout de la pièce.

— Monsieur l’abbé, fit-elle, pour l’amour de Jésus, écoutez-moi…

Il s’arrêta.