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LES MYSTÈRES DU CRIME

— Oui ! je vous en prie, entendez-moi. Et après, si vous le voulez… mais c’est impossible, n’importe, vous ferez ce qu’il vous plaira de moi… Je ne résisterai plus…

Le prêtre, l’œil stupide, la poitrine en avant, ne bougeait pas. Il écoutait sans comprendre.

— Voyez-vous, monsieur, continuait la Pitchounette en sanglotant, je ne suis pas une coureuse. Je demeure près d’ici avec mon père et ma mère, Oh ! les pauvres !… Monsieur, je vous en prie, laissez-moi vous dire… Papa, travaille depuis dix-sept ans dans une fabrique, quinze heures par jour, se privant de tout, restant des mois sans boire une goutte de vin. Ce n’est pas un ivrogne, allez ! Et il est bon !… Ah bien ! Il s’est blessé dans son travail. On a dit que c’était de sa faute, qu’il avait bu !… et on l’abandonne sans secours. Son patron ne veut rien entendre. À l’hôpital on ne peut pas le recevoir… il n’y a plus de place. Ma mère est presque infirme, elle se ronge les doigts de désespoir sans pouvoir nous être utile… elle a tant travaillé aussi, maman ! Moi, je suis fleuriste, on chôme, plus d’ouvrage ! Que faire ? Ah ! monsieur ! voyez, je me mets à genoux, devant vous. J’ai voulu me dévouer, mais non ! Soyez notre sauveur ! Ne me laissez pas me perdre. Faites une bonne action… Dieu vous en récompensera. Donnez-moi un peu d’argent pour guérir mon père et pour donner à manger à ma mère, on a si faim chez nous ! Nous vous le rendrons, monsieur l’abbé… La santé nous reviendra et le pain avec… Dites ? dites ?… Et elle se traînait à genoux.

Le prêtre sentait le sang bourdonner dans ses oreilles. N’y tenant plus, il se jeta sur la Pitchounette qui, avec un sanglot étouffé se laissa renverser sur un meuble…

— J’en mourrai, gémit-elle.

— Que tu es bête ! ma fille, repartit l’abbé Caudirol.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La pauvre fille quitta la rue des Gravilliers, la désespérance plein l’être, avec un louis d’or dans la bourse, mais souillée, déshonorée !

Le prêtre s’était mis à table et mangeait quelques bouchées.

— Ah ! ça, mais, elle ne viendra donc pas, l’autre ? disait-il de temps en temps.

Longtemps il attendit, inquiet, insatiable d’amours horribles, véritable satyre !

— Elle est ravissante, la Pitchounette, monologuait-il ; mais l’autre est mieux encore. Après le bouton qui pousse, la rose épanouie… ce serait délicieux… Arrivera-t-elle ? J’ai bonne envie, toutefois, de ne plus attendre et de me coucher. Quelle soirée ! Voilà une fille de joie qui m’est venue faire de la morale… Elle se dit honnête… Allons ! bon, pas si naïf ! Nous avons lu des romans où cela se voyait, mais dans la réalité, jamais ! Cependant, il est vrai qu’en tout il faut bien commencer par la première fois. En ce cas, tant mieux. Je suis un heureux mortel, C’est un hors-d’œuvre… Sacrebleu ! à quand le plat sérieux ? Viendra-t-elle ?

Le temps s’écoulait sans que rien ne rompît la tranquillité de la rue. Minuit était près de sonner. L’abbé Caudirol reposait dans son fauteuil, livré à de galantes rêveries. Tout à coup la porte s’ouvrit, et une pâle figure de femme apparut sur le seuil…

Le prêtre se retourna vivement.

— La Pitchounette ! encore !… Qu’as-tu, mon enfant ?

Elle se redressa, blanche comme une morte.

— Monsieur l’abbé, mon père vient d’expirer. Mon sacrifice est venu trop tard. Voici votre argent…

Et, avant qu’il pût se détourner, elle lui lança la pièce d’or au visage…

— Misérable gueuse !

— Ce n’est pas tout, canaille en soutane, monstre qui n’avez pas de famille et salissez celle des autres… ce n’est pas tout… je suis venue pour autre chose.