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LE VAMPIRE

Elle s’était élancée, belle de fureur et de vengeance, un ciseau à la main…

Le prêtre, revenu de sa stupéfaction et doué d’un sang-froid imperturbable, se déroba par un brusque mouvement de côté.

Puis, à son tour, il se jeta sur elle.

La malheureuse fille se trouva enlacée par derrière, et dans l’impossibilité de se servir de son arme. Elle essaya de lutter, mais l’homme la saisit à la gorge et la maintint malgré ses efforts, couchée, râlante…

Soudain, la Pitchounette cessa de se débattre sous la main de fer qui l’étranglait…

L’abbé Caudirol se relevait considéra l’enfant étendue à ses pieds…

Il eut peur…

— Elle ne bouge plus, fit-il, avec angoisse.

Et, en effet, elle restait inanimée sur le tapis…

Le curé lui jeta de l’eau à la figure, essaya de toute sorte de moyens pour la rappeler à la vie. Rien n’y fit. Elle gardait l’immobilité d’une statue.

— L’aurais-je tuée ? se demanda le prêtre.

Il la dégrafa et mit la main sur son cœur : aucun signe de vie.

Il lui prit le bras, l’éleva et le laissa retomber… il s’abattit lourdement…

— Morte ! fit-il d’une voix étouffée, en reculant avec épouvante.

Au même instant un bruit de pas se fit entendre dans l’escalier.

Moment terrible !


CHAPITRE V

Le tueur de femmes


L’abbé Caudirol n’eut que le temps de pousser le cadavre sous son lit et de se jeter sur une chaise, feignant de dormir. La porte, restée ouverte, livra passage à une femme voilée qui, toute essoufflée, courut se jeter dans les bras du prêtre…

C’était la baronne de Cénac.

— Oh ! cher, vous m’avez attendue si tard ? lui dit-elle d’une voix câline.

— Mais oui…

— Ne m’en veux pas, surtout, continua la baronne, en parlant avec volubilité. Figure-toi que tout est venu conspirer contre nous. Mon mari n’a pas quitté la maison aujourd’hui. Pour comble de malchance, épuisée par l’émotion de cette journée qui n’en finissait plus, je me suis assoupie… N’importe, je te trouve ici, je suis heureuse, tous mes ennuis sont oubliés. Je t’aime bien, va !… Cela te surprend peut-être cet amour, que je t’ai avoué tout d’un coup, à l’improviste, sans que tu t’y attendisses ? Ne crois pas, cependant, mon ami, que je sois une femme corrompue. Ma vie est irréprochable. Je me donne à toi ainsi tout entière, simplement, mue par une force supérieure à ma volonté. Sitôt que je t’ai vu, mon bel amant ! je me suis dit : « Voilà l’homme que j’ai rêvé ; il me comprendra, lui ! il m’aimera comme je veux être aimée : passionnément, avec frénésie. » Je t’aime !… Oh ! n’est-ce pas que je serai aimée aussi et que je ne me trompe pas sur toi, mon adoré ? Vois-tu, je suis folle. Le croirais-tu ? Déjà, je suis jalouse. Jure, ô mon lion ! que tu seras ; fidèle à ta lionne. Jure-le moi devant Dieu.

— Oui, aie confiance en moi, répondit le prêtre avec effort.

Il était livide, son corps tremblait. La terreur s’emparait de lui, sans qu’il pût se dominer. Toute son énergie avait disparu et comme cela arrive chez les natures les plus puissantes après de violentes crises, il était près de s’endormir. Ses paupières s’appesantissaient.

— Qu’y a-t-il ? s’écria la baronne, très étonnée de l’accueil glacial qu’elle recevait.