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LE VAMPIRE

L’employé inscrivit l’état civil de la mère qui répondait machinalement à ses demandes.

Elle regardait toujours son enfant qui pleurait.

— Pourquoi l’abandonnez-vous ? demanda l’employé prêt à écrire sa réponse.

— Pourquoi je l’abandonne ? répéta la mère en relevant la tête avec une surprise impossible à rendre… Pourquoi j’abandonne mon enfant ?

— Eh ! oui, parbleu ! répondez.

Cette question posée si crûment rendit à la malheureuse toute son énergie.

— Pourquoi ?… Mais parce que mon mari m’a laissé veuve avec un enfant ; à naître… Il était conducteur dans une imprimerie ; le malheur a voulu qu’il soit pris dans une courroie de transmission… Il a été emporté par le volant et broyé dans la machine à vapeur… Pourquoi ?… Parce que je suis sans ressources, sans espoir, parce que mon pauvre petit dépérit faute de lait… je suis épuisée… Pourquoi ?… Parce que je me sens mourir et que je veux qu’il vive lui, ce pauvre mignon !

— C’est bien, grommela l’employé, nous connaissons l’histoire. C’est toujours du pareil au même.

Le Docteur-Noir, aussi pâle que la malheureuse elle-même, ne put y tenir plus longtemps.

— Monsieur, dit-il à l’employé, je suis obligé de m’en aller… Je venais pour un renseignement… Il s’agit d’un enfant déposé ici il y a bien longtemps… douze ans environ, pendant la Commune.

— Oh ! mais vos recherches seront inutiles… Il en est entré tellement à cette époque-là. Et sans nom ni indication ! Enfin voyez le chef du service.

Le Docteur-Noir allait sortir pour se soustraire à l’émotion qui lui montait au cœur à la vue de la malheureuse mère, quand celle-ci demanda tout à coup :

— Où emmène-t-on mon enfant ?

La femme de service venait de sortir avec le bébé qui criait de toutes ses forces.

Le bureaucrate s’impatienta.

— Encore des embêtements… Tenez, signez ici. Votre enfant sera envoyé en province… Vous ne saurez jamais où, et vous ne devez par compter le revoir. S’il y a lieu ; on vous donnera de ses nouvelles tous les trois mois.

La mère eut un cri désespéré et, d’un bond, elle franchit l’obstacle qui la séparait du bureau de l’employé.

— Je veux mon petit, hurla-t-elle avec force… Nous mourrons ensemble !

L’employé voulut la retenir.

Elle se dégagea et courut en avant, s’engageant dans les couloirs.