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LES MYSTÈRES DU CRIME

j’redescends au salon avec les princesses… j’remise ma primeur sur un banc… et j’écoute la conversation… V’là c’qu’on narrait : La mère Poivre-et-Sel, elle a une fille de quinze ans, un bouton, quoi ! Censément, c’est sa nièce… Figurez-vous que c’tendron a une dot épatante, prélevée sur les p’tits bénefs de la maison de confiance à maman.

— Je sais cela, fit Sacrais.

— Oui-dà… Eh bien, elle se marie avec un colonel… Y’s sont rien pas durs dans l’armée ! On m’a conté l’histoire du contrat… C’était touchant. Et la nièce a signé en tremblant… Soutiens-moi, Sacrais, que j’m’évanouisse dans tes bras.

— La mère Poivre-et-Sel n’est pas en nom dans l’affaire, bien entendu ? demanda Sacrais, forcément intéressé par ce récit entrecoupé de gestes voyous et de grimaces.

— Ça va d’soi… C’est égal… j’pige la bobine du colonel quand il apprendra un beau jour la parenté d’sa femme ; S’crongneugneu, m’ame Poivre-et-Sel, foutu chopin qu’j’ai ramassé. Subséquemment, j’la trouve mauvaise… V’là c’que dira M. Bléchard.

— Bléchard ! fit Caudirol, en se levant brusquement.

Depuis quelques instants il n’écoutait plus La Marmite et s’était absorbé dans ses réflexions. Ce nom le réveilla de sa torpeur.

— Eh ben, oui, Bléchard, répéta La Marmite. Qu’est-ce qui y a ?

Caudirol pressa son front dans ses mains.

— Ce nom me rappelle un mauvais souvenir. Il y a longtemps… très longtemps… un certain Bléchard, officier… a fait-une chose infâme… Ah ! il est colonel, maintenant !

— Et il ajouta à part lui :

— Voilà comme on s’élève en grade, en tuant une famille sur la dénonciation d’un lâche… Et c’est moi qui ai armé ce Bléchard contre les enfants du père Marius… Je ne regrette pas mes crimes… non… j’en suis fier. J’ai risqué ma vie… Mais, sous la Commune, en écrivant de Nantes à l’autorité de Paris, en livrant ceux qui se confiaient à moi… J’ai été bien vil… Ah ! quand la passion s’en mêle, je suis fou.

La Marmite examinait curieusement son chef.

— Vous connaissez le bonhomme ? fit-il.

— Oui, répondit Caudirol, et s’il épouse la fille d’une prostituée, ce n’est pas sans le savoir. Pour ces gens-là, l’argent passe tout.

— Moi, j’aime pas ça, approuva La Marmite, faut avoir le respect de soi-même.

Sacrais rappela le gamin à l’ordre.

— Veux-tu, oui ou non, nous parler de la Sauvage !

La Marmite perdit toute sa gaieté.