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LE VAMPIRE

Caudirol, animé par une haine affreuse, sentit renaître en lui sa nature de bandit. Désormais, il n’eut plus qu’une préoccupation, la vengeance. Tuer la duchesse de Lormières et brûler le château fut son dessein ; mais il ne tarda pas à renoncer à ce crime odieux. Une idée plus diabolique encore, s’il est possible, lui traversa l’esprit. Il connaissait l’orgueil de la duchesse ; il se rappelait avec rage son aristocratique dédain pour lui, en dépit de son attachement pour sa maison. Il résolut de frapper madame de Lormières de la façon la plus cruelle dans sa fierté et dans son honneur.

Le hasard le servit à son gré, ainsi qu’on va le voir.

Un soir que la duchesse se promenait, seule dans son parc, elle vit se dresser tout à coup un individu formidable, dans lequel elle reconnut Caudirol. Le bandit avait la face horriblement décomposée par la colère. Il se précipita sur la malheureuse et l’entraîna en étouffant ses cris. Longtemps, il courut, emportant sa proie qui se débattait vainement dans ses bras robustes. Enfin, éloigné de tout secours, certain qu’aucun aide ne pouvait arriver à sa victime, il mit à exécution le plan monstrueux qu’il avait conçu.

Sans écouter les supplications de la duchesse, il lui arracha ses vêtements un à un, sans se presser, avec cynisme, et se livra sur elle aux derniers outrages, écoutant cruellement les cris de dégoût et de terreur de sa victime affolée.

Puis, quand il eut satisfait à son ignoble vengeance, il jeta la duchesse de Lormières absolument nue, liée et bâillonnée, au milieu d’un champ voisin. Et avec la pointe d’un couteau de chasse il grava son nom sur le ventre de la malheureuse qui ne donnait plus signe de vie.

Cet abominable attentat commis il allait s’enfuir, quand accoururent du château des domestiques qui cherchaient leur maîtresse disparue, Une lutte terrible s’engagea, Le misérable, doué d’une force prodigieuse, blessa tous ceux qui voulurent s’emparer de lui ; mais, enfin, pris par la fatigue, épuisé, se voyant perdu, il se plongea son arme dans le cœur et alla rouler sur la duchesse de Lormières étendue sans mouvement…

Ramenée chez elle dans un état désespéré, elle revint cependant à la vie et s’aperçut bientôt qu’elle était enceinte. Ne pouvant plus demeurer dans un pays où son malheur était connu de tout le monde, elle alla résider à Paris. Quelques mois après, elle mourut en donnant le jour à un enfant qui porta le nom gravé en lettres sanglantes sur le corps de sa mère : Caudirol.

L’enfant grandit et devint homme. Il ne connut jamais le mystère de sa naissance. Il reçut toute sa vie une pension d’un notaire qui disait avoir de l’argent placé à son nom par des inconnus.

Ce Caudirol se maria et eut plusieurs enfants qui moururent tous à l’exception d’un seul. La mère succomba à son tour et le père devint fou.

On ne sait ce qu’il devint.

Le jeune Caudirol fut élevé au séminaire de Nantes et fut, de bonne heure, ordonné prêtre.

Alors, par un singulier phénomène d’hérédité, des instincts étranges se révélèrent en lui. Jusque-là, il n’avait pu donner libre cours aux emportements de sa nature, qui se révoltait contre l’existence qu’on lui faisait.

Comme la plupart des prêtres qui s’adonnent à la débauche, il eut d’abord des relations avec sa servante, une femme de quarante ans, grasse, obséquieuse et coufite en dévotion. Les premières ardeurs passées, cette liaison disproportionnée lui inspira un dégoût insurmontable. Il chercha d’autres plaisirs, et, sa beauté singulière aidant, il ne tarda pas à nouer des intrigues amoureuses dans des familles aristocratiques de Nantes. Sa bonne, dépitée de son dédain se mit à lui faire des scènes, et sa jalousie croissant de jour en jour,