— Il fait nuit pourtant, dit M. Cuplat d’un air spirituel.
Bonnasse s’empressa de rire et de s’extasier sur cette réflexion qu’il n’hésita pas à qualifier d’incomparable.
— Que vous avez d’esprit, M. Cuplat ! finit-il par conclure ingénument.
Celui-ci sourit d’un air bienveillant, et, après avoir fait asseoir sa compagne, il se plaça lui-même à la table préparée pour le souper.
M. Cuplat était un gros homme d’environ quarante ans. Son masque avait quelque chose de grotesquement idiot. Il portait un fer-à-cheval d’un noir rougeâtre qui indiquait une teinture de mauvaise qualité.
En effet, le digne homme grisonnait déjà et se teignait.
— Êtes-vous satisfait, maintenant, monsieur le Directeur.
— Non, répondit le grand geôlier, je ne suis pas content.
Et pour mieux faire entrer cette phrase dans l’esprit de son ancien subordonné, M. Cuplat ajouta :
— Mais pas du tout, vous savez.
— Voyons, qu’est-ce qu’il y a, mon gros coco ? fit la dame du fonctionnaire.
Celui-ci tira un journal de sa poche et, après avoir roulé ses gros yeux sur ses interlocuteurs, il commença ainsi :
— Voici comment moi, Cuplat, homme public, je suis traité par une feuille indigne.
— Ah ! c’est un article sur vous ? fit le garde du cimetière en se préparant à écouter attentivement.
Il crut devoir ajouter :
— J’ose espérer qu’on vous rendra justice…
M. Cuplat lui imposa silence d’un geste irrité.
— Niniche Trognon, dit-il à sa compagne, écoutez ceci. C’est un vil journaliste qui parle de moi.
Il commença sa lecture.
« N’oublions pas Cuplat, l’unique Cuplat, le monumental, le sublime, le divin Cuplat. Ce directeur de prison entend les belles manières, comme moi le chinois. »
— Ne suis-je pas un homme aimable ? interrogea M. Cuplat, rouge de colère subitement.
— Oh ! monsieur, exclama Bonasse en joignant les mains.
— Si fait, approuva Niniche Trognon, en suçant ses écrevisses. Mais mange donc, bébête !
M. Cuplat n’eut pas l’air d’entendre et continua l’article le concernant.
— Entendez cette appréciation sur moi, fit-il.