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LES MYSTÈRES DU CRIME

Et il lut avec une fureur concentrée :

« Cuplat a l’air d’un caporal de chambrée qui se prend au sérieux, La préfecture devait être folle le jour où elle en a gratifié les détenus politiques. »

— Calomnie ! s’écria l’ex-brigadier Bonnasse.

— Je ne comprends pas, interrompit Niniche Trognon.

— Voilà l’explication, fit M. Cuplat d’un ton lugubre : Les prisonniers politiques ont le privilège excessif de se faire apporter leurs repas par un restaurateur du dehors de leur choix. J’ai changé cela, parce que l’un de mes amis, établi restaurateur, fournit de meilleure nourriture. J’ai donné à cet ami le monopole exclusif.

— C’est tout naturel, remarqua Bonnasse.

— Eh bien ! dit M. Cuplat, on prétend que je me suis associé avec un gargotier pour dévaliser mes détenus. Ceux-ci, une fois sortis, les gueux ! s’en vont clabauder qu’ils paient trop cher de la camelote, et patati, patata…

— Mon Dieu ! mon Dieu ! fit Bonasse.

— On m’accuse de me faire nourrir pour rien, en faisant jeûner mes prisonniers. Il est de fait que je prends mes repas chez cet ami. Et puis, après ? Je ne les paie pas… Cela ne regarde que le restaurateur ! Il le fait par amitié pour moi… et non par intérêt pour conserver le monopole que je lui ai donné.

— C’est tout simple, approuva le garde ; mais goûtez donc de ce vin, monsieur le directeur.

— Non, répliqua celui-ci ; l’article n’est pas fini. Je lis :

« C’est un monomane féroce que ce Cuplat.

« Dans son cabinet, il a une tête de mort et un vieux tibia. Sur la cheminée, à droite, il y a un buste de Cuplat, et, à gauche, il y a un autre buste de Cuplat, faits par des détenus… et gratis.

« Oh ! mon Dieu ! délivrez-nous de ce Cuplat ! »

— Il a osé dire cela, le journaliste… Comment, c’est imprimé, demanda Bonasse en retroussant ses manches pour un combat imaginaire…

— Oui ! oui ! oui !… répondit Cuplat qui demeura écrasé sur sa chaise, épongeant son front couvert de sueur.

Niniche Trognon profita de son effondrement pour s’emparer du malencontreux journal.

Grâce à elle, à son entrain endiablé, le souper, prit une tournure plus agréable.

À deux pas du champ de repos, on but et on causa gaiement…

Nous insistons sur cette soirée chez le garde Donnasse, car M. Cuplat, le directeur de prison, sera un personnage fort curieux de ce récit.