Page:Morphy - Le vampire, 1886.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
LE DOCTEUR-NOIR

Il avait cet âge passif où l’adolescence commence dans un état de langueur…

Sa nature aimante et douce n’avait que des crises d’énergie. Il lui fallait le bonheur, l’amour de ses parents, le grand air de la liberté… Au lieu de cet le existence heureuse, il supportait depuis sa plus chétive enfance toutes les douleurs qui peuvent accabler un adolescent.

Il se souvenait de sa mère, si bonne pour lui, qui avait tant souffert, elle aussi !

Au milieu de ses larmes il la revoyait et son désespoir augmentait encore dans le délire de cette chère vision.

Comme il se trouvait seul au monde !

Il se releva à demi, en refoulant ses cris par un dernier reste de volonté, et il remit péniblement ses habits. Puis il resta affaissé.

— Ma pauvre mère, redit-il encore, oh ! qu’elle a dû souffrir !…

Un coup de sonnette retentit à la porte de la rue.

Il se traîna jusqu’à la fenêtre, mû par un mouvement de curiosité instinctive.

En bas le domestique de son père était en faction.

En entendant sonner il était resté indécis, ne sachant s’il devait quitter son poste ou aller ouvrir.

Le président apparut sur le perron.

— Allez voir ce qu’il y a, commanda-t-il d’une voix dure en rentrant dans la maison.

Georges tourna la poignée de la fenêtre.

Le domestique de M. Isidore Bartier ouvrit la porte de fer.

Un homme à l’air franc et intelligent pénétra vivement dans l’hôtel.

— Qui faut-il annoncer ? demanda le valet de chambre en courant derrière la nouvel arrivé.

— Jean-Baptiste Flack, de la part du frère de M. le président.

Le domestique inclina la tête d’un air niais et remonta les quelques marches du perron d’un pas lourd, tandis que son visiteur le suivait…

Georges ouvrit sa fenêtre…

La nuit commençait à tomber.

Il regarda sous lui… Un étage seulement le séparait du sol. Dominant sa souffrance, il enjamba la balustrade et se laissa glisser le long du mur.

Il s’en fallait d’environ deux mètres qu’il ne touchât la terre. Sans hésitation il lâcha prise et retomba sur le pavé de la cour.

Le pauvre Georges faillit se trahir. Une torture épouvantable le tenaillait. Sa chute venait de redoubler ses souffrances, il retint le cri qui allait lui échapper. C’est à peine si un gémissement étouffé filtra de ses lèvres crispées.