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LE VAMPIRE

était à portée de sa main, il s’en empara sans que M. de Cénac comprît exactement le but de son mouvement.

— Si vous tentez de fuir, je vous tue… Messieurs ! messieurs !… arrivez ! cria-t-il.

Dans la rue, les fenêtres s’ouvraient, et des têtes effarées de gens réveillés en sursaut, se montraient ça et là. De la maison, on entendait distinctement le pas de plusieurs personnes descendant l’escalier à la hâte.

Il n’y avait pas une seconde à perdre. L’abbé dissimulant son poignard, mais prêt à s’en servir, joignit traîtreusement les mains, dans l’attitude de la prière.

— Prenez garde ! où je tire sur vous, exclama le baron.

— Mais je suis déjà tué par ma chute, fit le prêtre. Que craignez-vous donc ? Je me suis brisé les jambes en tombant. Ayez pitié de moi, Si vous saviez comme…

— Au secours !… Ah !…

Pendant que l’abbé Caudirol parlait, M. de Cénac avait négligé de tenir le pistolet braqué dans sa direction…

Les mains jointes de l’assassin s’étaient alors abattues sur lui armées du stylet.

Ce fut comme un coup de foudre…

Le baron tomba en arrière, tout d’une pièce, son poignard planté dans la poitrine.

— Ah ! gémit-il encore une fois, et ce fut tout.

L’abbé Caudirol sentit son courage renaître. Une sorte de frénésie s’empara de lui à la vue du sang qu’il venait de répandre.

— Non, ils ne m’auront pas, hurla le monstre.

Il ramassa le pistolet en un clin d’œil, et retroussant sa soutane, il prit la fuite…

Par un mouvement instinctif, il détourna la tête pour regarder derrière lui.

Plusieurs personnes le poursuivaient en criant :

— À l’assassin !… Arrêtez le !…

La rue s’animait ; on descendait précipitamment des maisons, Les cris redoublaient.

Et la chasse à l’homme commençait dans les ruelles noires et sinistres de ce vieux quartier de la capitale.

— Au meurtre !… Arrêtez-le ! Arrêtez-le !…

Le prêtre, retenant sa respiration, courait… courait toujours… Et derrière lui, devant lui, de toute part, des hommes se dressaient sur son passage, semblant surgir du sol pour arrêter le criminel…

À ce moment terrible, sa vie dépendait de la vitesse de ses jarrets, le misérable, mû par une puissance prodigieuse, surnaturelle, allait comme le vent, renversant et rejetant tout ce qui s’opposait à sa course forcenée.

La chasse à l’homme, l’horrible chasse à l’homme se continuait à travers le vieux Paris, réveillé dans son sommeil par ces vociférations :

— À l’assassin !… Au secours !…

Mais, revenons au commissaire de police que nous avons laissé rue des Gravilliers, accompagné de ses hommes et du serrurier.

Voyons ce qui s’était passé.

Au bas de l’escalier, il avait laissé un agent, et gravissait les marches cherchant la loge du portier. Nous avons dit que la maison n’en avait point. Le principal locataire veillait aux soins généraux et remplissait les fonctions de concierge. Il habitait un petit pavillon situé dans la cour.

Ce jour-là, par hasard, il était resté chez un parent alité.

Son absence laissait la maison sans personne à qui s’adresser.

Le baron n’avait donné aucune indication particulière, et le commissaire, singulièrement troublé par les incidents de cette soirée, ne lui avait rien demandé.

C’était d’une bizarrerie extrême. Mais le commissaire de police avait cette excuse que, du dehors, la maison avait si peu d’apparence que l’on pouvait fort bien supposer qu’elle appartenait tout entière à la même personne.