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LES MYSTÈRES DU CRIME

— J’ajoute cent francs pour ma part, s’écria le fils d’un banquier bien connu. Je ferais mieux, mais je suis décavé.

— Et moi, fit le rejeton d’un sénateur, je m’inscris pour le double.

— Trois cent vingt francs, reprit le chanteur, en s’adressant à Caroline. Est-ce accepté ?

La fille jeta un coup d’œil sur le président don le visage était en feu.

— Accepte, lui dit-il tout bas, et je complète les cinq cents francs.

Caroline se leva et en deux bonds elle fut sur la table de marbre.

Alors, simplement, sans se presser, elle releva ses jupes, tandis que l’acteur, au milieu des acclamations et des trépignements, plaçait la cigarette.

La fille restait immobile dans cette position ignoble et grotesque.

Les consommateurs se tordaient de joie, tandis que les femmes chuchotaient entre elles, jalouses de ce facile succès.

Le garçon de café venait d’arriver pour prendre sa part de plaisir, car il se doutait bien, à entendre les vociférations de ses clients, que quelque chose de drôle devait se passer.

Malgré son habitude de tout voir et de tout entendre dans ce repaire de gommeux et de filles de joie, il resta ébahi.

Les consommateurs jouissaient de sa stupéfaction.

Caroline, elle, très calme, dans la même position, s’adressa au garçon :

— Ernest, apporte-moi du feu que j’allume ma cigarette.

Ce fut un tonnerre d’applaudissements.

La fille reprit sa place au milieu d’une ovation impossible à rendre.

On lui apporta triomphalement le prix de son pari sur un plateau.

Mais le garçon de café s’interposait.

— C’est dégoûtant, ma parole, je vais le dire à la caisse.

Le chanteur voulut le calmer.

— On a bien le droit de fumer dans un café.

— Pas de ce côté-là !

Il continuait de récriminer, voulant faire sortir Caroline.

Celle-ci mit ses trois cents francs dans sa poche et glissa le louis d’or au garçon.

— Tiens, voilà ton pourboire, nigaud.

L’autre cessa de crier, et commença une morale à l’usage des crevés et des filles du lieu.

— Faites tout ce que vous voudrez, je m’en moque. Seulement faut garder des formes. Je vois très bien les saletés qu’on fait sous les tables, et je ne dis rien ; ce n’est pas mon affaire. Mais faut avoir un peu de retenue et ne pas recommencer la blague de ce soir…

Sa harangue se perdit dans le brouhaha des conversations.

Caroline avait fourni le « clou » de la soirée.