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LE DOCTEUR NOIR

Plusieurs personnes jouaient aux cartes ou causaient.

On devinait à leur laisser-aller que c’étaient des habitués de l’endroit.

Flack alla s’asseoir à une table isolée.

L’établissement présentait un calme parfait.

Tout à coup, la porte s’ouvrit avec fracas et un petit homme à l’air furibond se précipita à l’intérieur en gesticulant :

— Ils triomphent, les gredins, les insulteurs à gage, les calomniateurs !

Les consommateurs connaissaient évidemment le nouveau-venu, car ils se poussèrent légèrement du coude.

— Nous allons rire, fit l’un d’eux à ses amis.

Et se retournant vers le petit homme qui soufflait avec force, il reprit à haute voix :

— Mon Dieu ! qu’y a-t-il encore, cher monsieur Cuplat ?

— Ce qu’il y a ? s’écria le digne homme en secouant la tête rageusement, vous me demandez ce qu’il y a ?

— Oui, dites-nous la nouvelle persécution dont vous êtes victime.

M. Cuplat se recula de quelques pas et il prononça d’une voix lente cette simple phrase :

— Messieurs, je suis nommé directeur de Mazas !

L’effet ne fut pas aussi grand qu’il l’espérait, car il courut vers les consommateurs.

— Vous ne frissonnez pas ? leur demanda-t-il avec une surprise indignée.

— Si, je frissonne déclara le patron de l’établissement.

— Nous aussi, fit un client ; mais, voyons, il me semble que vous montez en grade. Vous devenez du coup directeur de première classe.

— Ils ne comprennent pas ! s’exclama M. Cuplat en levant les bras.

Et d’une voix grave, il continua :

— Que voulait… la… la… la presse enfin, puisqu’il faut l’appeler par son nom ?…

Il cracha avec dégoût.

— La presse voulait enlever aux prisonniers politiques un homme bienveillant qui leur indiquait le meilleur restaurant du quartier, qui lisait amicalement leurs journaux avant de les leur donner, un homme qui fraternisait avec eux.

Et il reprit avec exaltation :

— Les journalistes ont écrit dans leurs feuilles immondes que je m’étais associé avec un gargotier dans le but de les piller… Ils m’ont accusé de toutes les scélératesses… Et que fait l’administration ? Oh ! suprême dérision !… elle m’envoie à Mazas !

M. Cuplat s’effondra plutôt qu’il ne s’assit sur une chaise.

Ses yeux hagards tombèrent sur un journal ouvert devant lui.