Page:Morphy - Le vampire, 1886.djvu/295

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Machinalement, il en commença la lecture…

Une minute ne s’était pas écoulée qu’il bondissait sur son siège comme s’il venait d’être mordu par une vipère.

— Ah ! c’est trop fort, tenez ! lisez cet article. Il est écrit par un ancien détenu politique… Le misérable ! j’aurais dû mettre de l’arsenic dans ses potages.

Les consommateurs étaient fort amusés de cette scène. L’un d’eux prit la feuille et lut un filet ayant pour titre : Les distractions du génie. Le journaliste racontait comment M. Cuplat meublait son appartement au détriment de ses pensionnaires. La glace de son cabinet appartenait à un célèbre pamphlétaire, son presse-papier était une curiosité détournée à un jeune écrivain, bien connu par ses nombreux procès. Enfin, deux bustes en plâtre de M. Cuplat, dans une actitude d’empereur romain, avaient été exécutés par un artiste détenu qui en attendait encore le paiement.

Le directeur écoutait, avec un air de résignation comique, le récit de ses prouesses, méchamment racontées par un de ses ex-détenus, dans un journal d’opposition.

Quand le lecteur eut terminé, M. Cuplat s’écria douloureusement :

— Vous voyez bien, ils ont réussi, les exécrables bandits ! Je n’aurai plus le gouvernement… la direction veux-je dire… des hommes politiques incarcérés. On m’arrache les entrailles. Mazas, pour moi, c’est la mort.

Tout le monde riait sous cape du désespoir de M. Cuplat. On n’ignorait pas qu’il était arrivé à tirer de sa maison de détention toute sorte de bénéfices plus ou moins avouables qui lui constituaient de forts émoluments. Son avancement le peinait singulièrement… Ce fut avec des larmes d’émotion qu’il serra la main à toutes ses connaissances de café.

Puis, d’un air de victime résignée, il sortit de l’établissement, se dirigeant vers la prison qu’il allait quitter.

Comme il marchait tristement, en ajustant son képi sur ses yeux, il se sentit doucement arrêté…

Jean-Baptiste Flack avait suivi le directeur et c’est lui qui venait inopinément le tirer de ses désagréables réflexions.

M. Cuplat toisa cet inconnu avec sa hauteur habituelle.

Le fidèle domestique du Docteur-Noir devança toute interrogation.

— Monsieur, dit-il, je vous demande humblement pardon d’oser vous déranger un instant… Je ne suis qu’un modeste brigadier de la sûreté, mais j’ai appris votre inqualifiable nomination à un autre poste… et je me suis autorisé d’une profonde admiration pour votre personnalité…

— Vous êtes vraiment trop aimable, fit M. Cuplat en se rengorgeant.

— Non, monsieur, ma vénération est très justifiée. Il n’est personne, à la Préfecture, qui ne professe un sentiment respectueusement sympa-