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LE VAMPIRE

le plus complet régna un moment. On fit volte-face, on se coucha par terre, on se jeta contre les murailles…

C’était suffisant pour permettre à l’assassin de gagner du terrain. Il prit une rue à droite et la traversa comme un ouragan. Un homme qui se jetait devant lui pour le saisir fut renversé sur la chaussée, assommé par le choc.

— Arrêtez-le !… entendait-on dans le lointain.

Une vieille italienne, appuyée à l’angle d’une porte, fit signe au misérable d’entrer, et lui dit rapidement.

— Venez chez moi, vous serez en sûreté.

Le prêtre hésita, mais il était à bout, prêt de s’abattre sur le sol glissant. Il se précipita dans le refuge qu’on lui offrait…

— Voyez-vous, monsieur, je ne sais pas ce que vous avez fait, lui disait la vieille en le conduisant dans une petite cour, je ne sais pas mais c’est égal, nous sommes si malheureux nous-mêmes, que ça fait du bien de venir en aide à son semblable dans la peine…

— Je n’ai rien fait, ma bonne femme, fit l’abbé Caudirol, rien du tout, Une histoire d’amour…

— C’est mal pour un prêtre, mais c’est égal, entrez tout de même…

Et elle le poussa dans un logement du rez-de-chaussée dont l’ameublement indiquait la misère.

Quelques sièges, une armoire, un lit, et au milieu de cela un entassement de guenilles et d’objets de toute sorte. L’abbé Caudirol jeta un rapide coup d’œil sur cet intérieur sordide.

— Il y a quelqu’un qui dort, dit-il en désignant la couche sur laquelle reposait une forme rigide.

— Oui, et pourtoujours. Priez pour lui…

C’était mon mari, un rude travailleur et un honnête homme, je vous en réponds.

Le prêtre frissonna. C’était donc une fatalité qui s’attachait à lui. L’image de la mort partout !

Pendant qu’il balbutiait une prière pour dissimuler son trouble, la vieille femme, qui gardait l’œil sec, ayant depuis longtemps versé toutes les larmes de son corps, la vieille regardait le cadavre en grommelant :

— Ah ! oui, c’est ben le cas de le dire : Malheur au pauvre !

Puis, inquiète, agitée, elle ajouta à voix basse :

— Et la gamine qui ne revient pas… Pourvu qu’il ne lui soit pas arrivé malheur… Mais où est-elle donc ?… Elle était rentrée et, voyant son père mort, la voilà repartie… Que peut-elle bien devenir ?…

Le prêtre interrompit ce siloque :

— Comment vous appelle-t-on, ma digne et serviable créature ?

— Marita, répondit l’Italienne.

C’est un nom que je n’oublierai jamais dans mes prières.

La vieille hocha silencieusement la tête : elle avait les yeux fixés sur la soutane du prêtre qui était souillée de sang.

— Je me suis blessé en fuyant, se hâta de dire l’abbé Caudirol.

Une heure entière s’écoula. La figuré ridée de la vieille italienne prenait une expression d’alarme et d’épouvante.

L’abbé reprenait complément son sang-froid en se voyant à l’abri du danger. Il retira sa soutane et passa un vieux paletot que lui tendit la bonne femme. Il mit un chapeau rond sur sa tête et se préparait à offrir quelque argent à sa bienfaitrice quand un bruit de pas se fit entendre, lourd, cadencé ;

— On vient chez nous, dit la vieille… Entrez dans ce réduit.

Le prêtre qui se croyait sauvé recommença à trembler sur son sort, Il se blottit dans la petite pièce qu’on lui indiquait, plus mort que vif, prêtant l’oreille avec anxiété…

L’italienne ouvrit la porte du logement et regarda dans la cour.

Plusieurs hommes accompagnaient un brancard…