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LES MYSTÈRES DU CRIME

— Oh ! ciel !…

Et la vieille prise d’une angoisse mortelle se précipita au devant des porteurs, arrachant la toile qui recouvrait le corps qu’ils apportaient.

Elle vit un cadavre d’enfant dont la chevelure était carbonisée et la face horriblement défigurée…

— Ma Pitchounette ! s’écria la malheureuse mère avec un accent déchirant.

— Ma pauvre dame, balbutia un agent de police, on a trouvé cette adresse sur la petite, et on voulait savoir…

— Qu’est-il arrivé ? demanda la vieille d’une voix brisée par la douleur, mais impérative. Dites-le moi, je vous l’ordonne.

On se tut ; elle reprit avec énergie :

— Parlez, je puis tout entendre. Je suis habituée au malheur. Tenez, regardez là-bas sur ce lit : c’est mon homme qui vient de mourir… Allons, dites, dites ! Oh ! mon Dieu !…

— Puisque vous le voulez absolument, ma mère, dit un des porteurs. Voilà la chose en deux mots : C’est un curé qui a arrangé votre fille comme cela. J’ai dit.

— Un curé ?

— Oui, bonne femme, ou un vicaire, je ne sais pas. Bref, un calotin, pour sûr.

— Et ne lui a-t-on pas donné la chasse, ce soir ? interrogea la vieille saisie d’une idée subite.

— Si fait, interrompit un agent, à preuve qu’il a disparu dans cette rue-ci comme par enchantement, après nous avoir envoyé deux pruneaux qui, heureusement, n’ont atteint personne.

— C’est lui ! hurla avec une joie affreuse la vieille Italienne. Je tiens le meurtrier. Arrivez tous !

On entra précipitamment dans le rez-de-chaussée, abandonnant le lugubre fardeau au milieu de la cour.

La vieille saisit un couteau sans que nul l’en empêcha, et, désignant la porte derrière laquelle était l’abbé Caudirol :

— C’est de ma main qu’il va mourir, cria-t-elle.

Et donnant un tour de clef, elle ouvrit le cabinet éclairé par un pâle rayon de lune…

Il était vide !

La lucarne ouverte sur la cour indiquait le chemin par lequel s’étale évadé le terrible assassin. Un instant lui avait suffit pour échapper à la vengeance de la malheureuse mère et se perdre dans les rues, méconnaissable sous son déguisement…

L’Italienne regardait fixement le réduit, le bras étendu, immobile comme une statue.

Un homme ramassa la soutane du prêtre et dit en hochant la tête :

— Trois crimes dans une soirée et la clef des champs par dessus le marché, ce n’est pas trop mal… Bravo ! monsieur l’abbé…

Deux agents sortirent pour jeter un regard dans la rue. Ils allèrent de tous côtés sans rien découvrir.

— Décidément l’oiseau de malheur est bien envolé, firent-ils en revenant sur leurs pas.

Ils se croisèrent avec le commissaire de police.

— Eh bien ! demanda celui-ci, connaît-on la fillette à l’adresse indiquée ?

On le mît au courant de ce qui venait de se passer. En apprenant la seconde évasion du meurtrier, il poussa une exclamation de colère.

— C’est trop fort, par exemple !

Ils entrèrent chez l’Italienne. La malheureuse restait toujours à la même place, regardant la pièce vide… Le cadavre de son mari semblait aussi regarder de ses yeux fixes dans le cabinet où avait disparu le prêtre…

Le commissaire voulut tirer de sa torpeur la vieille femme.

— Allons ! du courage…

L’Italienne se retourna, l’œil hagard, l’écume à la bouche, et laissant éclater un rire convulsif qui ressemblait à un sanglot, elle fit signe de la main qu’on la laissât passer…

Douloureusement émus, les spectateurs