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LE VAMPIRE

D’une voix claire et métallique, il parla longuement sans fatiguer son public. Sa parole nette, décisive, puissante fit une profonde impression.

Immobile et comme subjuguée, la belle baronne de Cénac examinait le jeune prédicateur avec une sorte d’étonnement craintif…

Avec son front plissé, ses lèvres minces et glaciales, son nez recourbé, il avait quelque chose de dur et de tragique. Un observateur habile eût découvert sous sa beauté bizarre des indices non équivoques de férocité. Il y avait du tigre dans ce prêtre absolu et dominateur. Et cependant il exerçait une fascination difficile à décrire sur son public féminin. Cet homme de proie était encore un charmeur.

Son succès fut inouï, prodigieux…

Les fidèles de la paroisse Saint-Roch ne tarirent plus d’éloges en parlant de leur curé.

Ce dimanche-là, madame de Cénac était rentrée dans son hôtel, pensive et troublée. Pendant la messe, son regard avait croisé à plusieurs reprises celui du curé de Saint-Roch, et cette figure étrange ne sortait pas de son imagination.

— Mais que se passe-t-il en moi ? se demandait-elle.

Il s’écoula de la sorte quelques semaines durant lesquelles la baronne revit plusieurs fois l’abbé Caudirol à l’église Saint-Roch.

Sur ces entrefaites, le confesseur de madame de Cénac, un vieillard de soixante ans, vint à mourir. Cette circonstance, qui aurait dû affecter profondément la baronne de Cénac, la remplit, au contraire, d’une satisfaction dont elle-même ne se rendait pas un compte exact.

Quand vint le moment de choisir un autre directeur de conscience, le nom du jeune curé lui vint aussitôt à l’esprit.

Ce fut avec une secrète espérance, mal définie encore, et avec une émotion singulière qu’elle écrivit le billet suivant au curé de Saint-Roch :


« Monsieur le Curé,

« La mort du regretté abbé X… m’obligeant à me recommander à un nouveau directeur de conscience, j’ai pensé à vous demander la précieuse faveur de vos secours spirituels.

« Si vous voulez bien me le permettre, je me considérerai désormais comme une de vos pénitentes.

« J’ai l’honneur, Monsieur le Curé, de vous adresser l’expression de mes sentiments respectueux.

« Baronne de Cénac. »


La réponse ne se fit pas attendre. Le lendemain même, on annonçait à madame de Cénac la visite de l’abbé « Caudirol ».

Il venait remercier la baronne de la demande flatteuse qu’elle lui avait adressée.

Madame de Cénac, vêtue avec une recherche inaccoutumée et toute resplendissante de beauté, reçut le prêtre dans son oratoire.

— Je dois m’excuser, monsieur le curé, dit-elle, de vous avoir fait attendre un peu…

— Si peu, madame, que j’allais vous remercier de votre empressement. Je m’acquitte d’un devoir en vous témoignant combien je suis à la fois reconnaissant et confus de votre gracieuse bienveillance.

— Oh ! ne parlez pas ainsi, interrompît vivement la baronne. C’est pour moi qu’est tout l’honneur. Votre mérite éclatant, si noblement employé, la carrière sublime que vous avez embrassée, voilà des titres qui vous placent bien au-dessus de nous.

— Madame !…

— C’est aimable à vous de protester, continua madame de Cénac avec un charmant sourire, mais laissez-moi vous dire combien j’admire votre talent d’orateur sacré. Vous êtes bien heureux de tenir, comme vous le faites, un auditoire sous le charme de votre éloquence.

— Je vais me retirer, madame la ba-