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LES MYSTÈRES DU CRIME

ronne, fit le curé, en affectant de se lever. Je suis confondu de vos éloges si peu mérités.

Madame de Cénac, toujours souriante, força le prêtre à se rasseoir. Le mouvement qu’ils firent l’un et l’autre rapprocha leurs chaises.

L’abbé Caudirol ne parlait plus. Il restait pensif à la même place. La baronne le regarda à la dérobée et frissonna instinctivement en remarquant la lueur étrange de ses yeux.

— Vous voilà tout songeur, dit-elle, rompant le silence.

— Pardonnez-moi, madame. En effet, je me laisse aller aux réflexions que me suggère votre dernière phrase. Vous me croyez heureux !

— Certes, oui. Ne l’êtes-vous pas ?

Il y eut dans cette question une anxiété réelle qui n’échappa point au prêtre.

Il détourna la tête comme pour dissimuler son émotion et poussa un soupir amer.

Puis, se levant, il prit congé de la baronne qui, subitement attristée, ne songea pas à le retenir.

Au moment de la quitter, il revint sur ses pas et, prenant les mains de madame de Cénac, il lui dit avec effusion :

— Beaucoup de personnes m’ont témoigné de l’estime et même de l’admiration, mais vous êtes la première qui m’ait marqué de l’intérêt véritable : merci !

Et il s’en alla brusquement.

Peut-être, la baronne de Cénac venait-elle d’avoir affaire à un comédien habile connaissant à fond le cœur de la femme et sachant exploiter les sentiments d’intérêt qu’il faisait naître. Mais cette supposition, très plausible, ne vint même pas à la pensée de madame de Cénac.

Elle ne cessa plus de rêver à ce prêtre mystérieux qui paraissait tant souffrir. Son orgueil était flatté de la confiance que l’abbé Caudirol mettait en elle.

— Il ne m’a rien dit, ou presque rien, pensait-elle, mais j’en sais beaucoup sur lui. C’est un homme d’un grand cœur auquel il ne suffit pas d’être adulé et admiré. Il lui manque une âme sœur qui le comprenne et le soutienne. Il lui faudrait une amie dévouée…

Et la baronne continua de s’occuper en imagination de ce qu’il faudrait à son confesseur pour lui rendre la vie douce et heureuse. Elle ne dormait plus, travaillée par cette idée fixe de revoir le prêtre et de connaître, cette fois, le secret de sa vie.

Ne pouvant plus contenir son impatience, elle se rendit à l’église Saint-Roch un mercredi. C’était le jour de confesse de son nouveau directeur spirituel.

Elle alla s’agenouiller dans une petite chapelle auprès du confessionnal. Une vieille dame se confessait. Un léger frissonnement du rideau vert lui indiqua que le prêtre l’avait aperçue.

La baronne attendait impatiemment que la vieille eût fini sa confession, mais le temps s’écoulait.

— Elle n’en sortira pas, se disait-elle dépitée.

Des lambeaux de phrases arrivaient jusqu’à elle : « Mon père, je m’accuse d’avoir pu par coquetterie attirer sur moi les regards des hommes… Mon père… »

Madame de Cénac eût souffleté la pénitente. Elle se mit à prier pour occuper sa pensée et ne plus rien entendre.

La vieille se leva enfin et se dirigea vers la statue d’un saint évêque placée de l’autre côté de l’église. C’était là, sans doute, que le curé l’envoyait dire ses prières de pénitence.

La baronne, se plaça au confessionnal.

— Récitons le Confiteor, dit le prêtre à voix basse.

Madame de Cénac n’osait regarder à travers le grillage. Les yeux baissés, toute émue, elle commença :

— Je me confesse à Dieu, tout puissant, à la bienheureuse vierge Marie…

L’abbé Caudirol laissa la pénitente se recueillir un moment. Puis après une pause :