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LE VAMPIRE

— Ma fille, voulez-vous me dire vos fautes vous-même, ou préférez-vous que je vous adresse les questions ?

— Oui, mon père, fit la baronne d’une voix éteinte.

— Avez-vous eu des pensées peu charitables ?… Avez-vous parlé en mal de votre prochain ?… Avez-vous tenu des propos contraires à la vérité ?…

À chaque interrogation, Madame de Cénac répondait faiblement.

Le prêtre épuisait la série de ses questions.

— Avez-vous, en quelque chose que ce soit, failli à l’honneur ?… à la décence ?…

L’haleine du confesseur se mêlait à celle de la pénitente. Leurs lèvres se touchaient presque à travers le grillage. Une griserie douce envahissait le cerveau de madame de Cénac, tandis que le prêtre la questionnait d’une voix caressante.

— N’avez-vous rien à vous reprocher vis-à-vis de votre époux ?… Lui rendez-vous le devoir conjugal ?…

— Nous vivons retirés chacun dans nos appartements, mon mari et moi.

— Constamment ?

— Oui, mon père.

— Même durant les nuits ?

La baronne répondit par un : Oui, étouffé.

— Quelle est la raison de cette froideur ? demanda le prêtre.

— Je n’aime point mon mari. Il me surveille sans cesse et sa jalousie me rend bien malheureuse.

— Avez-vous eu quelque amour ?… L’avez-vous trompé ?…

— Mon père… je n’ai point failli.

Madame de Cénac entendit dans le confessionnal comme un soupir de soulagement.

L’émotion la faisait trembler. Elle éprouvait un immense besoin de se jeter dans les bras du prêtre et de pleurer. Elle aurait voulu se confier à lui, ne lui rien cacher, dévoiler à ses yeux le vide de son cœur ; mais elle suffoquait, ne pouvant plus articuler un son.

Enfin, elle eut une détente nerveuse. Elle avoua à l’abbé l’impression qu’elle avait ressentie en le voyant pour la première fois. Elle lui dit en sanglotant qu’elle aurait voulu naître sa sœur pour vivre toujours auprès de lui, le servant fidèlement, l’aimant avec soumission, écoutant sa parole avec bonheur, l’adorant pieusement, comme Dieu lui-même.

— Voyons, calmez-vous, chère âme, répondit le prêtre violemment agité. Rappelez vos souvenirs et dites à l’ami… au père qui vous écoute, ce que vous avez souffert.

La baronne pleurait toujours.

— Dites-moi votre vie… tout entière, acheva le prêtre.

Alors, tout bas, avec des larmes et des gémissements plaintifs, elle lui raconta son existence.

D’après cette confession, nous allons reconstruire le passé de la baronne de Cénac.


CHAPITRE II

La confession


La baronne avait vingt-deux ans. Élevée dans un couvent qui ne recevait que des pensionnaires de distinction, riches et titrées, elle n’en était sortie que pour se marier. Cette éducation mystique devait fatalement agir sur une nature aussi impressionnable. Sa sensibilité extrême, exaltée par une dévotion outrée et corrompue par les pratiques malsaines qui ont cours chez les jeunes filles cloîtrées, devait éteindre en elle tout vestige de sens moral.

Les plaisirs de la lune de miel furent bientôt passés. Cette union régulière sembla fade et insupportable à la baronne de Cénac, dont la sensualité excessive aurait voulu des amours plus romanesques et plus violentes. D’ailleurs, son mari ne l’avait épousée qu’afin de mieux établir sa