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LE VAMPIRE

en gerbement[1]. J’suis d’vant trois marchands de clou[2] avec des calottes sur la hure. J’m’asseois sur la planche au pain[3] et j’me recueille pour leur envoyer une plaidoirie tapée aux petits oignons. « Pourquoi qu’vous avez volé une marmite ? m’d’mande le président qu’est sourd comme un pot. — Pour ch… d’dans, m’sieu, que j’lui dis. — Et la côtelette, c’était ?… — Pour m’torcher le c… oui, mon président. — Gardes, emmenez-le. » J’en ai eu pour six mois à tirer… et me v’là.

Des éclats de rire et des trépignements accueillirent cette péroraison.

— Eh bien, mon p’tit, tu n’as pas volé ton nom, s’écria Sacrais ; vive la Marmite ! il sera des nôtres.

On approuva en serrant la main du voyou et, d’emblée, il fut reçu de la bande, sauf approbation de la Sauvage et du chef qu’on attendait…

Pendant que le jeune condamné exerçait sa verve ordurière, l’Homme-qui-Pue avait retiré jusqu’au dernier vêtement de la négresse et, fou de débauche puante, il lui versait entre les seins le contenu d’une bouteille qu’il buvait sur sa chair noirâtre, couleur de boue.

— Voilà la fontaine d’amour, hurla le satyre.

— Tu trouves, ma vieille ? fit La Marmite. Eh ben ! vrai, il a une façon de comprendre les sentiments qui m’va, l’Homme-qui-Pue ! Quel mignon !

Les autres regardaient, l’œil luisant, la gorge sèche. Il allait se passer des scènes plus immondes peut-être quand, soudain, la porte s’ouvrit.

— La Sauvage ! s’écrièrent les bandits.

— Et votre nouveau chef ! dit celle-ci d’une voix claire et énergique en laissant passer devant elle un homme caché dans un manteau de couleur sombre.

Tout le monde s’était levé.

Celle qu’on appelait la Sauvage était une Jeune fille de dix-neuf ans à peine. Elle avait un visage d’une expression incomparable.

Des cheveux noirs, crépus et abondants, couronnaient sa tête altière et insolente. Ses yeux avaient des reflets fauves et irrités. Ses narines largement ouvertes donnaient un caractère encore plus violent et sauvage à sa physionomie tourmentée. Sa bouche, épaisse et rouge, se contractait dans un sourire de dédain.

C’était une singulière nature où l’on devinait les passions extrêmes.

On la sentait animée d’une vie intense.

Cette fille étrange et superbe exerçait un véritable empire sur ceux qui l’approchaient.

Dans ce bouge immonde elle était toute puissante. On eût dit l’ange fatal des amours hideuses, le génie du lupanar !

  1. Jugement.
  2. Magistrats.
  3. Banc des prévenus.