Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/188

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Comme elle était jeune alors cette rivière, qui maintenant pourrissait entre des joncs, sous des brumes somnolentes. Elle roulait pêle-mêle des branches mortes et des paquets d’herbe : les nappes de cristal bleuâtre coulaient sur un fond d’herbes brillantes, onduleuses, parsemées de pierres blanches où des écrevisses étaient blotties. Le cresson trempait au fil de l’eau ses tiges vertes. Comme ils étaient joyeux, ces matins trempés de lumière, tout vibrants de sonnailles attachées au collier des chevaux, galopant sur la route. De grands peupliers, qu’on avait abattus depuis, projetaient sur les eaux des ombres, dont la nappe tournoyante était rayée. Marie-Anne, assise à l’arrière, tenait en main le lourd aviron de frêne qu’elle maniait si maladroitement, la pauvre ! Comme elle était jolie avec sa petite mine fraîche traversée par le reflet papillotant de l’eau, sous sa grande capote de paille, emboîtant la tête de toute part. Une capote comme on n’en voit plus guère. Quels regards terrifiés elle lui lançait, à chaque mouvement qu’il faisait pour relever le lourd échiquier, alors que la barque oscillait en tous sens sur les eaux : « Prends bien garde de choir, mon pauvre homme ! », lui criait-elle, et ses lèvres se plissaient, ses yeux s’ouvraient démesurément, dans la crainte qu’elle avait de l’eau, cette Marie-Anne élevée loin de la rivière, tout au fond du plateau lorrain. Chaque fois qu’il lui fallait entrer dans la maudite galiote, c’était, chez elle, le même désarroi, le même coup d’œil de regret donné au plancher des vaches. Mais elle prenait son parti et, poussant un gros soupir, elle trempait ses doigts dans l’eau et faisait un grand signe de croix.

Comme c’était loin, tout cela !