Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/139

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Thais de Kombau, en enlevant les empreintes dont j’ai parlé plus haut ; je viens d’en rencontrer plusieurs qui, me disent-ils, ont les « bras cassés ; » ils ne pourront plus travailler et seront toujours pauvres. Désormais ils auront une bonne excuse pour leur paresse, et moi j’aurai à me reprocher et à répondre de leur misère, puisqu’en enlevant cette pierre, j’ai irrité contre eux tous les génies de la montagne. Les Chinois pensent autrement ; mais leurs idées ne sont pas moins amusantes. Ils prétendent que sous l’empreinte il doit se trouver un trésor dans le roc, et que le bloc que j’ai enlevé doit avoir de grandes vertus médicinales, de sorte qu’Apaït et ses amis frottent tous les matins le dessous de la pierre contre un autre morceau de granit, puis recueillent précieusement dans de l’eau la poussière qui en tombe et avalent le tout, à jeun, avec la ferme persuasion que c’est un remède contre tous les maux. C’est ici le cas de dire que c’est la foi qui nous sauve : bien des pilules sont administrées chez les peuples civilisés qui n’ont certainement pas plus de vertus curatives que la poudre de granit absorbée par le vieux Apaït.

Ce pauvre bonhomme a vendu sa propriété pour 60 ticaux ; sa dette payée, il lui reste, avec l’argent qu’il a reçu de moi pour son fils, 40 ticaux. Il n’en faut pas davantage ici pour qu’il se croie riche jusqu’à la fin de ses jours ; il pourra de temps en temps régaler l’âme de ses aïeux de bonbons et de thé, et lui-même vivre en vrai mandarin campagnard. Avant de s’éloigner de Kombau, le bon vieillard m’a procuré un autre domicile au prix de deux ticaux (cinq