Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/309

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forts, que de mouvement, et surtout quel bruit de voix confus !

Le coup d’œil, relevé par l’éclat des plus vives couleurs, est certainement charmant d’étrangeté. De temps en temps on voit aussi apparaître, parmi cette foule bruyante et pittoresque, la barque de quelque Européen, celui-ci se faisant remarquer par l’énorme tuyau de poêle qu’il a adopté pour coiffure sur tous les points du globe.

Par l’insouciance que le peuple montre, il est aisé de reconnaître qu’il ne souffre pas de cette affreuse misère qu’on rencontre trop souvent, hélas ! dans nos grands centres de population. Quand son appétit est satisfait, et il ne faut pour cela qu’un bol de riz et un morceau de poisson assaisonné d’un peu de piment, le Siamois est gai et heureux, et s’endort sans souci du lendemain ; c’est une autre espèce de lazzarone.

Ainsi que je l’ai dit, je quittai Bangkok avec M. Malherbes, qui voulut m’accompagner jusqu’à quelques heures en amont de cette ville. Nous ne nous séparâmes pas sans échanger une chaude et bonne poignée de main, et, l’avouerai-je, sans essuyer chacun une larme en abandonnant à la destinée le droit de nous réunir ici-bas ou ailleurs. La légère embarcation de mon ami redescendit rapidement le fleuve et fut en quelques instants hors de vue. J’étais de nouveau seul avec moi-même pour un temps incertain ; et ce fut le cœur gonflé que je lis reprendre a ma barque sa marche pénible. Je ne me permettrai pas de longues suggestions à ce sujet ; mais c’est toujours un dur moment pour l’homme, pour le