Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/310

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voyageur qui a laissé derrière lui tout ce qu’il a de plus cher au monde, famille, patrie et amis, de quitter une étape hospitalière pour pénétrer seul dans un pays souvent dangereux et mortel ou privé tout au moins de confort. Ceux-là seuls qui ont traversé ce moment peuvent comprendre cette angoisse. Je sais ce qui m’attend ; les missionnaires et les indigènes m’ont prévenu. Depuis ving-cinq ans, du moins à ma connaissance, un seul homme, un missionnaire français, a pénétré au cœur du Laos, et il a eu juste le temps de revenir mourir dans les bras de ce bon et vénérable prélat, Mgr Pallegoix. Je connais la misère, les fatigues, les tribulations de toute sorte auxquelles je m’expose, parmi lesquelles le défaut de routes et la difficulté de me procurer des moyens de transport ne sont pas les moindres. Je puis payer d’une maladie dangereuse ou d’une fièvre mortelle la moindre imprudence, et qu’est-ce que la prudence dans ces régions, dans ces climats dangereux ? N’est-on pas obligé de se soumettre aux dures circonstances, aux inconvénients de la vie des bois et aux intempéries des saisons ? Cependant ma destinée me pousse ; je sens qu’il me faut obéir et marcher ; je me confie en la bonne providence qui a veillé sur moi jusqu’à présent… donc, en avant !

Quelques heures seulement avant mon départ de Bangkok, la malle est arrivée et j’ai eu enfin de bonnes nouvelles de ma chère famille.

Elles m’ont apporté quelque consolation à un malheur qui, au premier moment, m’avait fort affecté ; je veux parler de la perte de mes belles collections à bord du Sir John Brooke, qui a sombré à quarante