Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/319

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moins, l’ensemble du paysage que j’embrassai du haut d’une petite pagode, qui fut autrefois un temple catholique, ainsi que le constatent son architecture et l’inscription : Jesus hominum salvator, gravée en lettres d’or sur le baldaquin d’un autel à colonnes cannelées dans le goût du XVIIe siècle.

Ce temple était la chapelle même du palais de Constance, cet aventurier de génie qui le premier rêva la rénovation de l’Orient par l’Occident, invoqua pour ses desseins l’appui de Louis XIV, fit concéder aux Français les places de Bangkok et de Mergui, et périt victime de la haine et des intrigues du vieux parti conservateur siamois. Les ruines de sa demeure princière jonchent aujourd’hui la terre ; mais le portique ogival encore debout et les pans de murs restés intacts indiquent de vastes proportions, tandis que de nombreux fragments de marbre, gisant parmi les débris, témoignent du goût et de la magnificence du fondateur de l’édifice. C’est bien là l’architecture contemporaine des splendeurs de Versailles, et l’on croira sans peine que retrouver à quatre mille lieues de distance, même sous des décombres amoncelés, des traces du génie de la terre natale, n’est pas une faible source d’émotions pour le voyageur.

Sur le trajet aquatique que je venais de parcourir depuis Petchabury, j’avais rencontré surtout des talapoins. Montés sur toutes les embarcations en usage dans la contrée, depuis la simple pirogue jusqu’à la grande et brillante barque couverte, qu’on nomme ici ballon, ils voguaient en toute hâte vers Ajuthia, rendez-vous désigné de la procession nautique (un