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Dans ce déshabillé, il a l’air d’un lutteur et pas du tout du monsieur élégant et pommadé qu’il sera tout à l’heure. Et je suis sûr que plusieurs l’aimeraient mieux ainsi qu’avec toute l’élégance que peut donner le convenu de la mode.

Pendant qu’Édouard était ainsi occupé, Giroux et Ricard entrèrent.

Il s’interrompit pour presser cordialement la main à Giroux.

Puis, s’excusant de continuer sa toilette : eh ! bien, mon cher Giroux, vous avez donc abdiqué les splendeurs du pouvoir.

— Ne m’en parlez pas ; ce n’était plus un air respirable pour un honnête homme.

— Savez-vous que vous devez être joliment soulagé.

— Je le serais encore plus si je pouvais narrer toutes les turpitudes dont j’ai été témoin.

— C’est vrai qu’ils sont rendus si loin que cela ?

— Il faut le voir pour le croire. Mais nous parlerons d’autres choses, si vous le voulez bien.

— Je vous comprends : vous désirez ne plus y être même par le souvenir. Avez-vous quelque plan pour l’avenir ?

— Quelques-uns ; mais ils ne sont pas encore assez définis pour que j’en parle. Je veux d’abord les mûrir davantage. Je ne suis pas trop pressé. Je vais, en attendant, me faire de quoi vivre, au « Soir ». Sans que je sois attaché au journal d’une façon définitive et régulière, on m’y fait faire du reportage.

Tu vas au bal, dit Ricard à son ami, qui avait étalé un habit noir sur une chaise.

— Non ; à une soirée intime ; mon deuil ne me permettrait pas le bal. Je ne sais même pas s’il y aura assez de monde pour danser.

Sait-on ça, là-bas ?

— Oui ; d’ailleurs, je ne retournerai plus dans ces réunions.

— Tu n’es pas pour te cloîtrer.

— Non ; mais je veux fonder une communauté, dit-il, en souriant.

Par égard pour Giroux, qui n’était pas au courant de ses amours, Édouard changea de sujet de conversation.

Vous devez pourtant regretter quelque chose, lui dit-il ?

Giroux l’interrogea du regard.

— Vous ne regrettez pas Québec ?

— Oh ! certainement.

— J’en ferais autant à votre place : je ne conçois rien de plus beau.

— Pas comme édifices, dit Ricard.

— Peu importent les édifices : ils ne suffisent pas, à eux seuls, à faire la beauté d’une ville.

— Sans édifices, mon cher, tu n’as pas de ville.

— Ne fais pas le sophiste. Je veux qu’il y ait, naturellement, quelques jolies rues, bien bâties et bien entretenues, comme la Grande-Allée, par exemple ; mais cela ne suffit pas. Tout l’art du monde ne peut parvenir qu’à faire une jolie ville : pour qu’une ville soit vraiment belle, d’une beauté qui parle à la fois au sens artistique et au cœur, il faut qu’elle soit, comme l’est Québec élevée sur un site pittoresque et historique.

— On peut difficilement trouver mieux sous ce rapport.

— N’est-ce pas. Tous ces vieux édifices et ces monuments. Ce panorama grandiose qui l’entoure.

— Il y a plus, dit Ricard : il y a, à vivre à Québec, un charme particulier, que j’ai déjà éprouvé.

— Certes, dit Giroux : on y est tellement en famille.

— Et puis, continua Ricard, c’est un incomparable foyer d’intellectualité. Quelle largeur d’esprit et quel enthousiasme, chez tous ! Je me rappellerai longtemps mes vieux maîtres de l’Uni-