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— Oui, répondit Louis, très simplement. Mais je croyais que tu ne viendrais pas.

— Je suis allé ailleurs d’abord, mais je n’ai pas trouvé chez eux les gens que j’allais voir.

C’était un mensonge, car Arthur s’était rendu tout droit chez le docteur Ducondu, mais il aurait été humilié d’avouer la vérité.

Ernestine avait été très aimable pour les deux jeunes gens. Elle était en même temps étonnée et charmée de constater que si Louis ne faisait pas de phrases et ne contait pas de fadaises, par contre il causait très bien, sans affectation, et se montrait aussi intéressant qu’Arthur était emprunté et guindé. Elle fit part à son père de ces observations et le docteur lui dit : « ce jeune Doré me semble un bon garçon, mais je ne crois pas qu’il fasse jamais grand chose. Le jeune Duverger à l’air sérieux et bien élevé ; si tu veux le recevoir, je n’y ai pas d’objection, au contraire. »

— Il est très intelligent, dit Ernestine, qui sans être bas-bleu était fatiguée d’entendre parler bals et réceptions par les jeunes gens qu’elle recevait. J’aime cela pouvoir parler des choses ordinaires de la vie, de temps à autre.

Elle n’en dit pas davantage, car Louis n’avait éveillé en elle aucun autre sentiment que celui de la curiosité.

Le soir, Arthur, furieux d’avoir été relancé chez mademoiselle Ducondu par Louis, ne sortit pas ; il écrivit chez lui, pour la première fois depuis qu’il était à Montréal, afin de soulager un peu sa mauvaise humeur.

C’est à sœur qu’il écrivit et il lui dit à quel point cela l’ennuyait « de voir Louis se donner des airs de fréquenter la bonne société. » Cette phrase fit mal à Marcelle, qui était accoutumée à voir son frère jouer au personnage et qui l’en plaisantait même un peu mais qui se fit difficilement à l’idée que Louis Duverger allait voir mademoiselle Ducondu.

Pendant que madame Doré se réjouissait qu’Arthur eût écrit, la pauvre jeune fille subissait la crise morale qui accompagne souvent la découverte d’un sentiment nouveau et éprouvait les tourments que cause la naissance de l’amour quand la lumière se fait dans un coin inexploré du cœur et qu’on se surprend à penser à un absent au moment où il pense à une autre.

Si Arthur eût dit à Louis qu’il écrivait à sa sœur, Louis lui aurait certainement demandé de le rappeler à son souvenir, car il avait pour elle une amitié sincère. Mais Arthur n’en fit rien, avec son égoïsme et son indifférence habituelle, et l’absence de toute allusion à Louis, excepté pour dire qu’il était allé chez mademoiselle Ducondu, prit pour Marcelle une signification toute autre que celle qu’avait voulu lui donner Arthur. Louis connaissait à peine Ernestine et n’était allé chez elle que par besoin de distraction, mais Marcelle, qui le connaissait depuis des années, qui le savait bon, intelligent et studieux, qui aimait sa physionomie franche et sérieuse, et dans l’existence de