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La jeunesse n’est pas l’âge des chagrins profonds et des craintes de longue durée : quand Marie s’éveilla, le premier jour qu’elle se trouva à la ville, elle sourit au soleil matinal qui lui souhaitait la bienvenue et elle se sentit pleine de courage et de gaieté.




CHAPITRE IV



Elle descendit au rez-de-chaussée, où son père et sa mère étaient déjà rendus, car ils n’avaient guère dormi. Les deux frères reposaient encore, accablés de fatigue après le travail éreintant du déménagement. Le père Beaulieu ne voulut pas les réveiller tout de suite ; il attendit quelque temps. Puis comme ils ne se décidaient pas à descendre, on procéda sans eux à l’ouverture du magasin.

Le père Beaulieu était fort ému ; sa femme et sa fille ne l’étaient pas moins : c’était le commencement de leur vie nouvelle. Il vérifia si tout était en ordre et si le magasin avait bonne apparence et était prêt pour la réception des clients ; il rangea quelques menus objets, puis il ouvrit la porte et enleva, avec des mains tremblantes, la grille cadenassée qui assurait la sécurité du magasin et le défendait contre toute entreprise des voleurs.

Il sortit dans la rue et sa femme et sa fille le suivirent. Le calme le plus profond régnait et les passants étaient rares ; on les entendait venir de loin, sur les trottoirs en pierre, dans le silence du matin. Les fenêtres étaient closes partout et l’air était plutôt vif. Le père Beaulieu entendit du bruit à l’autre coin de la rue et il vit l’épicier dont le magasin est à l’angle des rues Beaubien et Saint-Hubert ouvrir lui aussi sa porte : c’était la concurrence qui commençait entre les deux hommes, avant même que les acheteurs ne fussent sortis du lit. Le père Beaulieu n’eut cependant pas de pensée d’envie ou de jalousie ; il était trop heureux, dans le moment pour avoir aucun sentiment malveillant, il avait plutôt envie d’adresser un salut cordial à son voisin du