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C’est la spéculation sur les immeubles qui a opéré ce changement presque magique. Des capitalistes entreprenants ont acheté les champs qui verdoyaient au nord de la ligne du Pacifique ; ils ont tracé des rues et ils ont préparé des plans, puis ils ont appelé les ouvriers, les travailleurs, par la voix des journaux. Ils offraient des « homes » aux hommes de cœur désireux d’assurer l’avenir de leurs familles. Ils n’avaient d’autre but que la spéculation, mais ils ont obtenu, incidemment, des résultats éminemment bienfaisants pour tous. Ceux qui ont répondu à leur appel étaient des braves, qui ne craignaient pas les longs trajets pour se rendre au travail, qui ne craignaient pas d’entreprendre de leurs propres mains, une fois leur journée terminée à l’usine ou à l’atelier ou sur les chantiers de construction, le creusage des fondations destinées à asseoir un nouveau foyer. On vit s’élever de nombreux abris temporaires où se logeait toute une famille, en attendant qu’on pût construire une meilleure habitation. Il y eut bien des souffrances dans ces maisons improvisées, où on ne payait plus de loyer, où l’on était chez soi, mais où le froid et l’humidité se faisaient sentir. Qu’importe ! On endura, on souffrit, mais on tint bon, jusqu’à ce qu’au prix de privations continuelles et de labeurs touchants on eût réalisé le rêve de sa vie, être propriétaire — et posséder non seulement un « lot » et une « maison », mais aussi un ou deux autres « lots », car, ils étaient bon marché à cette époque et on en avait acheté plus qu’il ne fallait. Ces autres « lots » augmentèrent de valeur et leur vente rapporta de beaux bénéfices.

Toute une population ouvrière se trouva ainsi installée, en quelques années, dans un beau quartier sain, où il y avait de l’air et du soleil en abondance pour les petits, pour les enfants, qui sont la richesse du pauvre. Ces enfants grandiront dans la demeure acquise par leurs parents aux prix de privations qui leur seront à eux-mêmes épargnées. Puissent ces privations, puissent ces travaux longs et patients ne pas être inutiles et puissent les parents enseigner aux enfants à perpétuer les vertus familiales d’ordres, d’économie et de travail ; puissent-ils leur enseigner le respect des autres et d’eux-mêmes et toutes ces fortes vertus qui contribuent plus encore que la seule santé physique à la croissance et au prestige d’une race.

J’ai parlé là des bienfaits réels de la spéculation intelligente et réfléchie, de celle dont les vieux du quartier entretenaient quelquefois le père Beaulieu, en causant au coin de la rue ou devant la porte de l’épicerie ; mais en toutes choses il y a des excès et on ne causait pas seulement de cette manière lente et sûre de s’enrichir. On racontait comment certains « lots » avaient doublé et triplé de valeur en quelques années. Certains propriétaires avaient vendu les maisons qu’ils avaient construites, avaient racheté d’autres « lots », avaient construit d’autres maisons et s’enrichissaient rapidement. D’autres, se rappelant la valeur énorme qu’avaient prise les premiers lots achetés par eux en avaient acheté d’autres, loin dans la campagne, comme si