Page:Mousseau - Mirage, 1913.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 67 —

. » Il sortit, quelques instants après, et le père Beaulieu, après avoir attendu longtemps que le commis fut libre, lui renouvela la demande de délai qu’il avait faite à Dulieu.

« Monsieur Dulieu règle ces questions-là lui-même », répondit le commis ; « je ne puis prendre sur moi de vous accorder ce que vous demandez.

— Mais monsieur Dulieu m’a dit d’arranger cela avec vous, dit le père Beaulieu, qui commençait à suer à grosse gouttes, bien qu’il ne fît pas chaud du tout, tant il devenait nerveux.

— Cela ne fait rien ; je ne peux pas. Revenez voir monsieur Dulieu.

— Va-t-il être ici de nouveau aujourd’hui ?

— Je ne sais pas.

— Quand sera-t-il ici ?

— Demain probablement.

— Est-ce que je fais mieux de revenir dans l’avant-midi ou dans l’après-midi ?

— C’est plus que je ne puis dire.

Ces réponses irritantes et offensantes mortifiaient profondément le père Beaulieu et la colère commençait à lui monter au visage. Si Dulieu eût été là, l’épicier aurait peut-être fait un esclandre fâcheux… mais il n’y était pas ; il savait bien à quoi il se serait exposé en restant et il était parti, laissant Dulieu en face d’un commis impassible et insolent.

L’épicier sortit, à moitié étouffé par l’indignation qui grondait en lui. Il eut peine à se rendre à la cage de l’ascenseur, car il était dans un état d’excitation extraordinaire et il ne savait guère ce qu’il faisait.

Il revint un peu à lui quand il fut dans la rue et il remonta à son domicile en proie à un accablement profond. On l’attendait à la maison et on se demandait quel allait être le résultat de ses démarches. Il n’avait pu cacher l’état de gêne où il se trouvait, puisque sa femme et ses enfants l’aidaient dans son commerce et étaient au courant de toutes ses affaires. Ils avaient donc hâte de savoir comment il avait réussi à solutionner la difficulté.

Il n’avait malheureusement pas encore réussi ; son air le faisait deviner, et il n’eût que peu de mots à dire pour expliquer son insuccès.

Sa femme reçut le coup avec calme et elle dit simplement : « ça n’a pas l’air comme si monsieur Dulieu était disposé à faire quelque chose. » Mais Henri et Marie, qui étaient jeunes et qui ne se laissaient pas décourager aussi vite, car à cet âge on ne doute pas de l’avenir, se récrièrent contre l’idée d’abandonner la lutte que suggéraient les paroles de leur mère. Tous deux se mirent l’esprit à la torture pour trouver parmi leurs connaissance quelqu’un qui pût acheter les « lots » de leur père. Tout à coup Henri s’écria : « si vous demandiez au docteur Ducondu ; c’est un bon homme et il est riche. » L’idée sembla susceptible