Page:Mulsant - Félix Thiollier, sa vie , ses œuvres, 1917.djvu/23

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père a laissé sans réponse trois lettres que je lui ai écrites depuis l’arrivée de ma petite famille.

« Je suis tenté, malgré ce que m’en dit ma femme, de penser que tu ne songes guère à ton frère le militaire, puisque tu as si peu à lui dire. Est-ce que tu ne te rappelles plus de moi ? Tu m’avais cependant promis de me sacrifier quelques moments de temps à autre. Ce défaut de remplir ta promesse m’a fait d’autant plus de peine que je suis privé des nouvelles de ma famille et me fait présumer que tu ne partages pas l’amitié que j’ai pour toi ; si je t’ai mal jugée, il ne tient qu’à toi de me faire revenir en m’écrivant de suite une bien longue lettre dans laquelle tu me parleras de tout le monde, de la famille en particulier.

« Nous sommes toujours, malgré le nom de la ville (Plaisance), de la manière la plus ennuyeuse ; heureusement que nous sommes tous très occupés, les officiers de leur instruction et moi de ma besogne, sans cela je crois que nous péririons d’ennui et de chaleur. Nos habitudes sont si différentes de celles des habitants de notre ville que nous faisons absolument bande à part ; nous serons plus gais cet hiver parce que tout le matériel de l’artillerie de l’armée d’Italie se rassemble ici. Tout cela amènera du monde et des dames françaises ; nous pourrons nous passer de nos très insipides hôtes ; c’est cependant bien dommage que le pays le plus beau de la terre soit habité par les êtres qui y sont.

« Maurice me fait remarquer parmi les nombreux tableaux qui sont dans mon logement une Samaritaine qui est dans mon antichambre et à laquelle je n’aurais pas fait attention. Il est venu me dire : Papa, viens voir le portrait de la tante Miette ! Effectivement c’est ta figure, de la ressemblance la plus parfaite et par dessus le marché elle est blonde. La seule différence entre elle et toi, c’est qu’elle a la poitrine plus élevée que tu ne parais l’avoir. Si ce tableau n’était pas fait depuis peut-être cinquante ans, j’aurais pu penser que le peintre, en passant à Saint-Étienne, aurait pu te voir et qu’enflammé par tes appas il se serait empressé de les jeter sur la toile, pour en repaître ses yeux ; quoi qu’il en soit ce tableau me fait le plus grand plaisir, car il ne se passe pas de jour que je ne le voye au moins vingt fois et que je ne le fasse admirer aux amateurs.